jeudi 24 août 2017

Une observation passionnante

On discute à l'infini des dangers de la chimie, et l'on confond souvent les dangers et les risques. Oui, l'acide sulfurique est dangereux, et il est vrai que cela peut faire des catastrophes quand on met de l'eau dedans (surtout, ne faites pas l'expérience !), tout comme il est vrai que cela fait des catastrophes quand on met de l'eau sur de l'huile bouillante enflammée (surtout, ne faites pas l'expérience !). Dans le premier cas, chimique, l'eau fait avec l'acide sulfurique concentré une réaction qui dégage beaucoup de chaleur, provoque une ébullition qui provoque des projections d'acide sulfurique concentré ; dans le second cas, culinaire, l'eau tombe au fond de la casserole, parce qu'elle est plus dense que l'huile, mais, chauffée par l'huile bouillante, elle s'évapore, et provoque une explosion qui projette de l'huile enflammée partout.
On pourrait multiplier les exemples, pour montrer que la question n'est pas le danger, mais le risque : courir avec un couteau la pointe en l'air, traverser la route, conduire un jour de grands départs, etc. Le danger est dans le moindre de nos actes, et il importe de minimiser les risques. Par exemple, je ne risque pas de me tuer à l'atterrissage si je ne fais pas d'ULM, et le risque de me noyer dans ma baignoire est moindre que si je suis en solitaire au milieu de l'Atlantique.
D'où les consignes de sécurité que l'on donne dans les laboratoires de chimie. Le port des blouses, des gants, des lunettes... Il y a tout un apprentissage... mais je sais que certains débutants voient mal l'intérêt de toutes ces contraintes. N'en fait-on pas un peu trop ?

Non ! 

Aujourd'hui, je viens de trouver, un peu par hasard, une merveilleuse démonstration de la nécessité de faire très attention, lors des expérimentations. Il s'agissait d'un classique  dosage du dioxyde de soufre par une solution de di-iode (je passe sur les détails expérimentaux) : dans une burette, il y avait donc la solution de di-diode, et les gouttes tombaient une à une dans un erlenmeyer (un flacon de forme conique, resserré sur le haut) où était le vin à doser. La burette était bien placée, le plus bas possible pour que les gouttes de solution de di-iode ne tombent pas de haut, et le vin à doser était agité le plus doucement possible par un agitateur magnétique.
Enfin, il faut que je signale que l'erlenmeyer était placé sur un papier blanc, conformément à la méthode officielle que j'utilisais, car cela permettait de mieux voir le changement de couleur, au moment (à la goutte près) où la solution de dosage de di-iode avait fini de consommer tout le dioxyde de soufre du fin.





En cours de dosage, alors, donc, que je manipulais avec beaucoup de précaution, j'ai soudain vu le papier blanc de teinter de noir en quatre endroits : quatre toutes petites taches de di-iode, alors que rien d'anormal n'était arrivé.

Oui, quatre petites taches, qui, grâce à la couleur de la solution de di-iode, m'ont montré que, malgré les précautions, il y a des projections, dans uner telle expérience.

En l'occurrence, il n'y a pas de risque, parce que je portais des gants, des lunettes et une blouse, et aussi parce que les réactifs utilisés n'étaient pas très dangereux, mais c'était surtout une mise en évidence : avec des produits bien plus dangereux, la possibilité de telles projections existe aussi, et, là, il faut absolument être protégé.

 J'y pense : et si, au lieu de faire la morale à nos étudiants, nous leur faisions répéter cette expérience, afin qu'ils voient d'eux-mêmes qu'il y a des projections ? Ainsi convaincus du bien-fondé des règles de sécurité, ils auraient certainement à coeur de les appliquer !

samedi 19 août 2017

Inédit

Souvent, la presse est marchande de peur : la pharmacie serait dangereuse, la médecine classique, les pesticides, les plastiques, les ondes, que sais-je ?

Mais là, c'est inédit : je vois une chaîne d'information qui relaye des mises en garde contre les marchands d'orviétan. Le chapeau de l'article est :

ÉTUDE SANTÉ - Les patients qui choisissent de recourir aux seuls remèdes alternatifs pour soigner des cancers fréquents ont jusqu'à cinq fois plus de risque de mourir que ceux qui optent pour des traitements classiques. Explications. 

Et le lien : http://www.lci.fr/sante/cancer-homeopathie-phytotherapie-naturopathie-attention-aux-medecines-alternatives-2061747.html

 Je ne résiste pas au plaisir de vous donner le premier paragraphe :


Le recours aux médecines alternatives, du type homéopathie, phytothérapie ou naturopathie, doit être surveillé. Les malades qui utilisent les seuls remèdes alternatifs pour soigner des cancers fréquents ont jusqu'à cinq fois plus de risque de mourir que ceux qui optent pour des traitements classiques, selon des chercheurs. Cette différence dans le risque de décès cinq ans après le diagnostic "a été la plus élevée pour le cancer du sein et du colon", a déclaré à l'AFP l'auteur principal de l'étude, Skyler Johnson de l'Université de Yale.

Et pour l'étude :

Use of Alternative Medicine for Cancer and Its Impact on Survival

JNCI: Journal of the National Cancer Institute, Volume 110, Issue 1, 1 January 2018, djx145, https://doi.org/10.1093/jnci/djx145



Champagne ! 

jeudi 17 août 2017

Aux Hautes Etudes du Goût : Pierre Combris

J'ai un peu de tard dans ma présentation des enseignants de l'Institut des Hautes Etudes du Goût, de la Gastronomie et des Arts de la Table. En revanche, c'est un grand plaisir de présenter mon collègue Pierre Combris :



Pierre Combris est économiste et directeur de recherche honoraire à l'INRA.


Il a dirigé, depuis 1996, le laboratoire de recherche sur la consommation qui étudie l'économie et les pratiques alimentaires ainsi que les mécanismes de choix des consommateurs.
Ses recherches personnelles ont porté sur l'évolution de la consommation alimentaire en France des années 1950 à nos jours et sur les infléchissements des préférences des consommateurs.


Il s'est également intéressé aux processus de choix en fonction des caractéristiques des aliments et de l'information dont dispose les consommateurs.


Il est membre du conseil d'administration de l'Institut Français pour la Nutrition et est expert auprès du Fonds Français pour l'Alimentation et la Santé.

mardi 8 août 2017

Bonnes pratique : être à la hauteur de ses dires

Au terme de cette série de billets inspirés par le Responsible Science de l'Académie américaine des sciences, je m'aperçois que je n'aimerais pas être du groupe qui a produit ce document : à ne voir que le crime, que la fange, la boue, on ne peut manquer de la voir partout.
Tiens, aujourd'hui, je trouve dans ce document :

Misrepresenting speculations as fact or releasing preliminary research results, especially in the public media, without providing sufficient data to allow peers to judge the validity of the results or to reproduce the experiments

Ce qui signifie en français : "Faire croire que des spéculations sont avérées, ou publier des résultats de recherche préliminaires, notamment dans les média à l'attention du public général, sans fournir assez de données aux pair pour que ceux-ci puissent juger de la validité des résultats ou reproduire les expériences". Cela dit, il est vrai que le désir d'être encensé conduit certains à des comportements étranges, et je ne peux manquer de me souvenir de notre deuxième colloques international de gastronomie moléculaire, où plusieurs des participants initiaux étaient devenus des vedettes... dont le comportement avait changé ; la présence de journalistes dans nos débats les conduisait à se comporter en vedettes, au lieu d'être en position de discuter de questions scientifiques. Ah, ce fatal ego ! Il fallut interdire la participation de la presse à partir des troisièmes rencontres. 

Mais levons le nez de la boue, et regardons le ciel, car il est bleu ! Oublions la publication pour le bonheur de la production scientifique, et, soudain, tout change : comment, alors, irions-nous trop vite à confondre des spéculations et des faits ? Nous savons bien que le diable est caché dans le moindre détail expérimental, dans le moindre calcul, et nous n'avons en réalité pas besoin des pairs pour évaluer nos travaux, puisque nous en sommes les premiers censeurs, les premiers rapporteurs. L'explorateur, dans la jungle, n'a pas besoin de public, pour savoir s'il avance ou non, et il sait que c'est à la sueur de la machette qu'il peut se frayer un chemin ; il sait combien de route il parcourt, et il sait que son cheminement est lent.

Oui, décidément, la vertu est sa propre récompense, et nos avancées scientifiques sont ce qu'elles sont : du pur bonheur quand nous faisons le travail soigneusement !

lundi 7 août 2017

Bonnes pratiques : jusque dans les relations humaines

Etonnant document que ce Responsible Science de l'Académie américaine des sciences : il nous fait part d'environ toutes les infamies possibles, dans le milieu scientifique.
Par exemple, j'y trouve :

Inadequately supervising research subordinates or exploiting them

Oui, il est vrai que mal diriger des collègues est répréhensible. Les exploiter aussi. Mais plus positivement, ne pourrions-nous pas nous poser la question suivante : comment bien diriger des recherches ?

La question est bien difficile, car il y a ce "diriger", qui est terrible. Peut-on vraiment "diriger" un scientifique digne de ce nom ? A la seule évocation de la "direction", je ne peux m'empêcher de penser à Frères Jean des Entommeures qui répondait à l'offre de diriger une abbaye "Comment dirigerais-je autrui, alors que je ne me gouverne pas moi-même ?".

Diriger ? Cela signifie, étymologiquement, donner une direction. Mais reprenons la question : il s'agit de science, donc de faire des découvertes. Comment être certain que nous mettrons nos amis sur la piste de découvertes, alors que nous ne sommes pas nous-mêmes certain de savoir dans quelle direction nous-même devons chercher ? Il y aurait ainsi de l'inconscience à diriger les autres ! Et une telle responsabilité ! Imaginons que nous les mettions sur une mauvaise piste !
Bien sûr, on peut aussi prétendre que peu importe la direction, le chemin que l'on fait emprunter ou que l'on emprunte soi-même, et que tout est dans la "composition" (au sens de la composition florale, de la composition de parfums, de la composition musicale, de la composition de tableaux, de la composition littéraire...) que nous faisons, à partir d'observations quantitatives du monde. Oui, on peut prétendre que même pour les sciences de la nature, "la beauté est dans l'oeil qui regarde" : on ne découvre que ce que l'on décide de voir, telle la découverte des fullérènes dans cette suie qui est sous les yeux de l'humanité depuis la découverte du feu.

Image associée


Mais quand même, n'y a-t-il pas des directions plus fructueuses que d'autres ?

Je ne sais pas, puisque, portant cette question conférence après conférence, dans le monde entier, je n'ai guère reçu de commentaires sur la question de la stratégie scientifique, qui est en réalité celle qui est discutée ici.
Mais revenons à la "direction de recherches". Je me demande quand même si ce que nous nommons "directeur de recherche", en France, n'est pas seulement la direction administrative de la recherche. C'est à dire un travail tout à fait sans intérêt du point de vue scientifique ! La vraie question n'est-elle pas la question de la recherche elle-même ?
Pour ce qui me concerne, quand j'agis en "directeur de thèse", par exemple, j'essaie surtout d'être un "rapporteur bienveillant", qui apporte de la culture scientifique, de cette culture qui permet de mieux voir les faits expérimentaux, de mieux les interpréter. Je suis là pour signaler des bonnes pratiques, les expliquer, et, surtout, pour être "contagieux d'enthousiasme" pour cette merveilleuse recherche scientifique.

Car nous avons besoin d'être entourés, aimés, encouragés, et non pas dirigés !

Bonnes pratiques : ne pas généraliser hâtivement


Vite, d'une frappe sur les doigts, faisons un élan vers le bonheur ! Dans ce Responsible Science, que j'ai déjà cité, je lis, comme répréhensible  :

Using inappropriate statistical or other methods of measurement to enhance the significance of research findings;

En français "utiliser des méthodes statistiques ou des méthodes de mesures inappropriées pour donner à des découvertes de recherche plus d'importance qu'elles n'en ont". En réalité, la traduction du passage américain est difficile, parce que ce texte est lui-même un peu inexact : il dit "augmenter l'importance" ; or on ne peut pas augmenter l'importance d'une découverte, mais seulement faire croire que le résultat a plus d'importance qu'il n'en a en réalité. D'autre part, il y a une amphibologie au mot "significance", parce que, en statistiques, on parle de significativité, partant du bon principe que toute mesure est incertaine, et que, d'autre part, les théories sont toutes approximatives, même si leur précision va croissante.
Ce qui est clair, c'est que se pose ici la question du scientifique vis à vis de lui-même, et vis à vis de sa communauté. Si la juste ambition des scientifiques est de faire des découvertes, alors on comprend mal pourquoi on irait utiliser des méthodes fautives pour se tromper soi-même : au fond de soi, on sait bien quand on a observé un effet ou pas. A contrario, on sait qu'il y a hélas des individus qui vivent en représentation, et pour qui l'estime qu'on leur porte est plus importe que la justesse des idées qu'ils tendent à la communauté, en vue de s'en faire estimer. Et c'est à eux que s'adresse en réalité la phrase de l'Académie américaine des sciences.
Oublions-les, car ils ne méritent pas de cette considération qu'ils quêtent au prix de leur malhonnêteté. Et, vite, prenons positivement l'idée initiale : oui, ayant des résultats, pour nous assurer de leur justesse, nous avons souvent besoin de méthodes statistiques. Dans un autre billet, j'ai assez dit que nos mesures sont toujours imprécises à des degrés divers, de sorte que nos résultats expérimentaux ne concordent qu'imparfaitement à nos "théories", nos équations d'ajustement. C'est pour cette raison que nous avons besoin de savoir avec quelle probabilité il y a ou non concordance. Il nous faut des méthodes de mesure toujours plus précises, et il nous faut valider, afin de savoir ce qu'il en est de nos résultats.


Leur "importance" ? C'est là une autre question, bien difficile, et je propose de transposer cette phrase "la vertu est sa propre récompense" à nos études scientifiques : au lieu d'en chercher l'importance, utilisons bien notre temps à savoir si les résultats que nous produisons sont dignes d'être affichés, publiés. Validons, validons, et validons encore !

mercredi 2 août 2017

Qui peut signer les articles scientifiques ?

 Je me souviens d'un billet que j'ai fait, à propos des signataires des articles scientifiques : qui peut signer ? qui ne doit pas signer. Mais la lecture du {Responsible Science} de l'Académie américaine des sciences me fait tomber sur une idées un peu différente, que je livre d'abord sans commentaires :

{Conferring or requesting authorship on the basis of a specialized service or contribution that is not significantly related to the research reported in the paper. }

 Il ne faut  donc pas faire signer, ou demander de faire signer des collègues sur la base d'un service ou d'une contribution qui n'est pas significativement reliée au travail rapporté dans l'article. Dans cet énoncé, il manque donc cet "accepter de faire signer" que j'avais discuté précédemment. Mais, surtout, tout tient dans le "significativement" : c'est là que s'introduit le diable.

Résultat de recherche d'images pour "diable bruegel"


Dans le travail scientifique, il y a en effet :
- l'identification des phénomènes que l'on explore  : évidemment, c'est une étape essentielle, puisque en découle tout le reste, et c'est donc "significatif". Bien sûr, il y a le cas où un phénomène est mal identifié, et l'on peut imaginer que quelqu'un vienne ensuite pour finir l'identification, et mettre le phénomène dans toute la lumière qui permet l'étude : là encore, j'ai l'impression que c'est significatif
- puis vient la caractérisation quantitative du phénomène, et il y a là un travail technique, qui se divise en
    - préparation de l'expérience
    - préparation des échantillons
    - analyse des échantillons
    - analyse des résultats
 Sans toutes  ces étapes, rien n'existe, de sorte que tout semble "significatif"... à cela près que, pour chaque étape, il peut y avoir une exécution complète, ou une partie d'exécution. Par exemple, pour la préparation des échantillons, il faudra avoir lavé la verrerie afin de faire des mesures "propres" : un simple travail de "plonge" est-il significatif ? Bien sûr, il est indispensable, car il détermine la qualité des résultats ; mais significatif ? Par exemple, la sauvegarde des fichiers de données est essentielle à l'activité du laboratoire, mais l'informaticien qui organise ces sauvegardes doit-il figurer parmi les auteurs ? Et le personnel administratif, sans lequel rien ne pourrait avoir lieu ?
A l'inverse, si l'on considère que la science est une activité intellectuelle, de création, on pourrait arguer que seuls les concepteurs de l'expérience, les créateurs de théorie, méritent de figurer parmi les auteurs... mais on tombe alors dans un excès inverse.
Décidément, les Grecs antiques avaient raison de prôner la modération en toute chose, et, dans ce débat des signataires d'un article, rien ne remplacera un peut de jugeotte... et d'honnêteté.

- le phénomène étant caractérisé quantitativement, il faut réunir les données en lois synthétiques : là, il est plus clair que le travail mérite signature

- puis peut s'élaborer une théorie, à partir des équations identifiées : c'est là que vient l'étape d'induction, parfaitement scientifique

- de la théorie, on déduit une conclusion testable : encore un travail sans ambiguïté

- puis on teste expérimentalement la prévision théorique : et là, on retrouve que ce que nous avons dit à propos de la caractérisation quantitative du phénomène.

On le voit : la question est grave. Et on ne la résout qu'au prix de beaucoup de réflexion, d'intelligence, d'honnêteté.