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lundi 24 août 2020

Aucun bruit dans un laboratoire

1. Dans les laboratoires de chimie, cela est une règle  : il ne doit pas y avoir de bruit. Et, de surcroît, il doit pas y avoir non plus de musique, car celle-ci empêcherait d'entendre les bruits éventuels. Pourquoi ces règles ?

2. Parce que la chimie, qui est une science des transformations moléculaires, comporte une composante expérimentale & une composante théorique.

3. Pour la composante théorique, on comprend qu'il faille du calme, pour se concentrer sur les équations, les idées, sans que des bruits, c'est-à-dire des alertes, ne viennent nous déranger.

4. Pour la composante expérimentale, il faut rappeler qu'elle comporte des dangers, de sorte que nous devons éviter les risques.

5. Oui, les composés que nous manipulons présentent parfois des dangers : certains sont explosifs,  d'autres sont inflammables & beaucoup sont toxiques. Il y a donc lieu d'éviter les explosions, les incendies, les intoxications, par exemple.

6. Je me répète un peu,  mais la différence entre dangers et risques et essentielle : traverser une rue est dangereux, mais si l'on regarde bien avant de traverser, à gauche & à droite, alors on réduit les risques.

7. Le problème, dans les laboratoires de chimie, c'est que les dangers sont parfois invisibles, & l'on se reportera au billet où je discute une expérience avec de l'iode qui a fait apparaître trois tâches minuscules, alors que la pratique était aussi parfaite que possible.

8. Les bruits dans toute cette affaire ? En général, un bruit résulte du choc, fût-il léger, de deux solides l'un contre l'autre ; en pratique il s'en fait entendre quand on pose un récipient sur la paillasse, dont les carreaux sont souvent en faïence ou en matériau vitrifié. D'ailleurs, au bistrot, vous vous entendrez beaucoup de bruit sur le zinc.

9. Cependant, ces bruits signalent des heurts, & des possibilités de bris ! Or si un récipient se brise,  son contenu peut se répandre...  c'est là que des risques peuvent apparaître. Imaginez un composé très toxique sorti de son flacon ! D'ailleurs, pour un composé qui peut exploser quand il y a des chocs, le bruit révèle un choc & donc une possibilité d'explosion.

10. Mais même sans tout cela, un choc indique possibilité de bris, pour des matériels coûteux, & l'on comprend que manipuler avec soin s'imposent.

11. Finalement, ceux qui manipulent avec des matériaux fragiles doivent apprendre à éviter ces  possibilités de bris, ce qui impose qu'ils s'entraînent à éviter les bruits. Manipuler sans bruit n'est pas facile ;  même poser un récipient sur la paillasse se fait difficilement sans bruit, & il y a une façon de faire qu'il faut apprendre.

12. J'ajoute qu'il y a lieu d'apprendre à manipuler dans le plus grand calme, sans précipitation, car cette dernière serait la possibilité de faire des gestes inconsidérés. La tête doit certainement précéder la main, à savoir que chaque geste doit être mesurée, anticipé, prévu, de sorte qu'on ne laisse pas de place à l'improvisation, à la hâte...

13. On comprend ainsi, finalement, que les bruits soient des signes de danger, non seulement pour soi-même mais pour les autres : entendre un bruit dans un laboratoire où quelqu'un manipule doit être signal d'alerte, qui nous conduit aller voir ce qui se passe, & notamment à nous assurer que le collègue n'a pas de problème.

14. En corollaire, on comprend qu'une musique dans le laboratoire, même si elle "égaye" un peu la pièce, supprime cette possibilité d'alerte. D'autant la musique risque de nous distraire, alors que nous devons être concentrés sur les gestes que nous faisons.

15. On le voit : nos règles ne sont pas arbitraires, mais logiques, ancrées sur l'analyse des travaux que nous faisons.
Des visiteurs qui s'étonneraient de tant de silence mériteraient d'être éclairés sur les raisons de ce dernier : il ne s'agit pas d'inactivité, mais au contraire d'activité parfaitement réglée, contrôlée.

16. J'en viens  maintenant à ce panneau qui figure sur la porte d'une de nos pièces expérimentales, dans notre laboratoire : "que nul n'entre ici si sa tête est troublée". Ce panneau a été mis après qu'un de nos amis  -qui manipule généralement très bien- avait cassé une verrerie. Il n'y avait pas prêté attention, & avait continué son travail.  Mais quelques minutes plus tard,  il avait cassé ensuite une autre verrerie ! Là, nous avons tout arrêté et nous avons cherché les causes de ce comportement étonnant. A vrai dire, la  cause était évidente : il y avait des manifestations sous nos fenêtres, avec des cris, des batailles... Comment ne pas être troublé par tout cela ?

17. La suite de l'histoire est encore mieux : notre ami avait finalement décidé d'arrêter ses manipulations pour faire de la rédaction et du calcul... mais ce jour-là, tous ces calculs ont été faux.



18. Oui, véritablement, pour bien travailler, Il faut éviter que la tête soit troublée. Le peintre Shitao, dans un livre, explique que, pour faire des traits de pinceaux parfaits, il faut vider sa tête de tout, éviter les "poussières du monde".
Dans plusieurs billets précédents, j'ai discuté cette question, & notamment l'idée de la poussière du monde, que je ne crois moins donnée par le monde que produite par nous-mêmes.

19. De même, on voit bien comment nos expériences & nos calculs sont perturbées par une foule d'idées que nous avons dans la tête. Ce n'est pas le monde qui nous donne ces idées, mais nous-mêmes qui les avons, qui les laissons tourner & gêner nos activités.
Bien sûr, nous pouvons avoir des ennuis d'argent, de coeur, d'administration, ou même des questions de travail que nous ne parvenons pas à résoudre...  mais pourquoi ne pas poser tout cela de côté, le temps du travail ? Ou bien résoudre les choses au lieu de les laisser traîner, de procrastiner ? D'ailleurs, même des sentiments plus positifs nous empêchent  de nous focaliser complètement sur ce que nous faisons.

20. Se focaliser, oui, se focaliser, là est la clé des expérimentations & des travaux bien faits. Dans le silence le plus complet. D'expérience, c'est toujours un manque de focalisation qui cause les erreurs, de calcul, de manipulation, d'incompréhension...

19. D'où cette merveilleuse "méthode  du soliloque", que j'ai exposée par ailleurs.

mardi 31 mars 2020

Une question ? Une réponse

La question du jour :

Je m’appelle xxxxx, j ‘ai 17 ans et je suis en dernière année de secondaire dans une école en Belgique. 
Dans le cadre de cette dernière année, il  m’est demandé de réaliser un travail de fin d'étude (TFE) sur le sujet de mon choix. J’ai choisi le sujet :  “La chimie dans la cuisine Moléculaire. Cette dernière peut-elle devenir source d’alimentation exclusive.”
Je voulais donc savoir s’il serait possible que vous répondiez à 2-3 questions sur le sujet mais surtout sur la question de son avenir au sein de la société ?
  • Selon vous, la cuisine moléculaire peut-elle devenir source d'alimentation exclusive?
  • Y a-t-il des risques pour la santé ?
  • Les avantages et inconvénients de ce type de cuisine.
  • Votre définition de la gastronomie moléculaire.

Ma réponse :  

Merci de votre message. Rassurez vous, il n'y a pas de chimie dans la cuisine moléculaire, et il n'y en aura jamais, car la chimie est une science qui produit des connaissance. En revanche, la cuisine moléculaire EST une application de la chimie.
De toute façon, je crois que vous voulez plutôt parler de cuisine note à note que de cuisine moléculaire, car :
- la cuisine moléculaire, c'est l'utilisation de nouveaux outils, venus des laboratoire de chimie
- la cuisine note à note, c'est l'utilisation d'ingrédients nouveaux que sont les composés purs.
Cela étant
- la cuisine moléculaire peut-elle devenir souce d'alimentation exclusive : oui, on peut parfaitement moderniser tous les appareils !
- y a-t-il des risques pour la santé : il y a des risques à TOUT, traverser la rue, respirer, marcher... Et la question n'est pas là : c'est re réduire les risques. Un couteau ? On peut tuer. Donc il faut l'utiliser sans tuer.
- "ma définition de  la gastronomie moléculaire"  ? Ce n'est pas "ma définition", mais "la" définition : le terme a été introduit officiellement dans ma thèse, mais elle avait été donnée quand nous avons introduit la discipline en 1988, avec Nicholas Kurti : l'exploration des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires. Là encore, vous aurez beaucoup de choses sur mon site.

jeudi 19 septembre 2019

La question du risque pour la partie expérimentale de la chimie


Pour la partie expérimentale de la science nommée chimie (ce n'est ni une technique ni une technologie), la question principale me semble être de savoir quelle est la question à laquelle on pense pas. Je m'explique ici.

Lors des travaux de chimie, qui explorent une partie inconnue du monde moléculaire, la mise en œuvre de réactions moléculaires encore jamais pratiquées conduit parfois à synthétiser des produits instables, qui peuvent conduire à des accidents, ou à des produits toxiques. Et c'est ce que nous allons donc d'abord considérer, parce que, dans les deux cas, il y a des risques de catastrophes.

Commençons par les produits instables. Au début d'une réaction effectuée par un chimiste, il y a des composés que l'on désigne sous le nom de "réactifs". La chimie étant la "science du feu", elle chauffe ces réactifs. C'est ainsi que l'alchimie procédait, mais en réalité, c'est encore souvent ainsi que l'on procède aujourd'hui. C'est par une telle méthode, par exemple, que Hennig Brandt découvrit le phosphore en 1669, par calcination d'urine. C'est ainsi que l'on produit de la chaux vive à partir de carbonate de calcium (le calcaire)...
Les produits formés sont un peu comme des masses auxquelles on a donné de l'énergie pour les porter en haut d'une montagne. Pour peu qu'elles puissent retomber, elles peuvent faire des dégâts terribles. Bien sûr, il y a une différence entre puissance et énergie : on sait bien que la même masse ne fera pas les mêmes dégâts si elle tombe verticalement ou si elle roule lentement sur une pente douce, avec des frottements. Et oui, la rapidité d'une décomposition (les produits formés relâchant l'énergie que le feu leur a donnée) est un facteur important d'explosion, parce que des changements de volume peuvent créer une onde de choc, comme le bang d'un avion supersonique.
D'autre part, oui, le "feu" donné à des réactifs réorganise les atomes qui composent ces composés : les atomes sont liés par des forces que l'on peut casser, mais ils se réarrangent alors, et c'est ainsi que partant de bleu de Prusse, on a produit de l'acide cyanhydrique, qui est un produit mortel. Là, les exemples sont innombrables.

Bref, il y a donc du danger en chimie... et cela est inévitable pour qui explore le monde moléculaire. Mais la question est moins le danger que le risque. Un produit toxique est dangereux, donc, mais enfermé dans un coffre, il ne présente pas de risque. Encore un exemple : il y a du danger à traverser certaines routes, et le risque est grand si je ne regarde pas à gauche et à droite. Avec des routes de campagne peu fréquentées, le danger est moindre qu'avec des autoroutes, mais qu'importe : si je passe quand il n'y a pas de voiture, le risque est faible dans les deux cas.
La question, toutefois, c'est de savoir quand il y a du danger, pour minimiser les risques. Dans l'histoire de la chimie, on a rapidement su qu'il y avait du danger,  au point même que, il y a seulement 50 ans, les chimistes se reconnaissaient dans la vie civile au fait qu'il leur manquait un œil ou une main. Aujourd'hui, les chimistes se sont dotés de méthodes pour essayer d'envisager les dangers, et, surtout, ils se fondent sur les expériences du passé... et sur des techniques progressivement mises au point pour éviter les accidents. L'une des plus essentielle est de réduire les quantités que l'on manipule
Mais la question demeure  : pour une nouvelle expérience, quel est le danger ? Et c'est là où je retrouve ma question, posée naguère par le philosophe Alain : quelle est la question à laquelle je ne pense pas ? Sans informations particulières, j'ai bien du mal à imaginer les dangers.

Mais l'ignorance n'est pas notre seul handicap. Nous aurions également intérêt à ne pas oublier que nous sommes nous-mêmes causes de danger : si notre tête est troublée, alors nous risquons de faire mal. Et j'ai de nombreux cas en mémoire, sans qu'il y ait eu -heureusement- d'autres conséquences  que matérielles. Par exemple, je me souviens d'un doctorant qui, troublé par des manifestations sous nos fenêtres, avait cassé de la verrerie, puis avait fait des erreurs dans ses calculs. Un calcul faux, on le refait, mais la vie humaine est précieuse, n'est-ce pas ?

Restons avec cette phrase : quelle est la question à laquelle je ne pense pas ? quel est le danger que je m'imagine pas ?

mardi 28 mai 2019

Quoi, de l'acide glacial en cuisine ? Pourquoi pas !


Je me souviens avoir été interrogé par des journalistes de télévision à propos de ce terrible "acide acétique glacial" que de très méchants industriels auraient mis dans les aliments qu'ils vendaient.
Mais je veux quand même observer que personne n'est obligé d'acheter les aliments industriels : que ceux qui ont (inutilement) peur et qui sont paresseux au point de ne pas chercher à comprendre le monde où ils vivent n'achètent pas les produits qui leur font peur.
A cet argument, quelques êtres "supérieurs" me répondent qu'il faut protéger le public et qu'il faut des "contre pouvoirs"... mais que c'est argument est suffisant (au sens de prétentieux) et minable ! D'abord, sans l'industrie, ni emploi ni produits alimentaires. Et puis nos amis vont-ils broyer eux-mêmes, dans leur cuisine, les betteraves pour extraire le sucre ? Et le tournesol pour faire leur huile ?
Que les dieux nous préservent des râleurs, des négatifs : Rabelais les nommait des "pisse vinaigre". Et je propose que nous nous interrogions sur leurs motifs : il y a ceux qui veulent du pouvoir (sur les autres), ceux qui veulent de l'argent, ceux qui ont peur de tout, ceux qui sont simplement pervers, ceux qui promeuvent en sous main des idéologies...

Allons, tournons regard vers mieux !

Et commençons par dire que, à propos de l'usage éventuel de l'acide acétique glacial en cuisine, la question est d'abord de comprendre. Et notamment de comprendre ce qu'est que ce fameux "acide acétique glacial" dont quelques uns font commerce de cauchemar.
Partons d'un fruit sucré, et laissons le fermenter. Par exemple du raisin. Le fruit contient initialement des sucres (souvent le glucose, le fructose et le saccharose), et la fermentation (par des bactéries de l'environnement) transforme le sucre en éthanol. Dans du vin ou du raisin que l'on fait fermenter, on récupère environ cinq à dix pour cent d'éthanol en solution dans l'eau. Puis, en présence d'air, d'autres micro-organismes transforment l'éthanol en acide acétique : c'est ainsi que se forme le vinaigre.
Mais on sait que la distillation permet de concentrer du vin pour obtenir de l'alcool, où la teneur en éthanol (l'alcool des eaux de vie) est plus concentrée que dans le vin initial. De même, on peut concentrer de l'acide acétique. Et si l'on s'y prend habilement, on peut obtenir de l'acide acétique très pur, sans eau : on dit "glacial" en raison de sa propension à cristalliser dès que la température devient inférieure à 16,7°C.
Et oui, c'est un produit dangereux, car il est inflammable, ainsi que ses vapeurs, et provoque des brûlures de la peau et des lésions oculaires graves. Quand on le respire (il faut être imbécile), il est suffoquant...

Quoi, un produit dangereux dans les aliments ? Oui, parce que personne ne ferait un tel composé s'il était pur, et que  l'industrie alimentaire qui utilise de l'acide acétique glacial (pour ne pas transporter de l'eau, s'il était dilué), le dilue avec de l'eau sur les lieux de production, afin d'avoir l'acidité voulue. Faites-moi confiance, mais je suis prêt à boire de l'acide acétique glacial... après qu'il aura été dilué : si la dilution est suffisante, on aura une solution moins acide que du vinaigre, voire que du jus d'orange !
A nouveau, répétons que la question n'est pas le danger, mais les risques. Si nous savons éliminer ceux-ci, aucun problème.

Mais je sais aussi que les marchands de cauchemars ne s'arrêteront pas à une telle explication. Combattons-les absolument par des faits justes !




jeudi 28 février 2019

Dangers et risques

Dans les discussions sur la sécurité sanitaire des aliments, il y a deux mots essentiels, qui sont hélas trop souvent confondus, tout comme dans les cuisine, à propos de la méthode "HACCP", qui vise à produire dans des conditions de sécurité... qui éviteront que, comme aux Etats-Unis en 2017, la moitié des toxi-infections alimentaires résultent d'un passage au restaurant, où le lavage des mains est la première mesure à prendre.

Bref, les deux mots sont "danger" et "risque". 

Le danger est inhérent à la chose. Une chaise est dangereuse, par exemple, parce que si elle lâche, on peut tomber et se blesser. Une voiture est dangereuse, un couteau est dangereux, mais aussi une fourchette, une cuiller, une assiette, le sel, le poivre, l'eau : je vous laisse jouer au jeu d'imaginer dans quelles circonstances, mais voici des pistes.
La fourchette peut crever un oeil.
L'assiette peut, mal lavée, apporter des micro-organismes pathogènes.
L'eau trop pure (neige fondue, par exemple) peut provoquer des chocs osmotiques.

Bref, puisque le danger est partout, il serait imbécile de légiférer sur le danger, et, heureusement, certains de nos élus ont compris qu'il faut plutôt légiférer ou réglementer sur le risque.
Par exemple, le couteau ne pouvant être interdit, ce que la loi peut faire, c'est d'interdire des couteaux trop dangereux (pointus, à cran d'arrêt, plus long que la paume de la main) dans certains lieux publics. Ou encore, puisque la voiture est dangereuse, on réglementera ou on légiférera sur la vitesse maximale.
Et tout cela avec doigté, sans excès, sans prudence excessive qui immobiliserait toute notre société.

Donc il faut s'assurer des risques.

Ce qui vient d'être dit des voitures ou des couteaux vaut pour les composés variés que nous utilisons : les pesticides, les conservateurs des aliments, les additifs variés que nous utilisons.
Et cette législation, cette réglementation doit se faire, pour les aliments, dans le cadre de la loi sur le commerce des denrées alimentaires, dont on rappelle qu'elles doivent être saines, loyales et marchandes.

Bref, considérons moins les dangers que les risques !


mardi 19 décembre 2017

Peut-on manger des viandes cuites au barbecue ? Oui !

Ce matin, un correspondant (amical) me demande des précisions sur la cancérogénicité des viandes cuites au barbecue, afin de ne plus en manger :

"Vous dites que manger des aliments cuits au barbecue est cancérigène, pouvez-vous me préciser exactement ce qui l'est, est-ce le charbon ou autre chose ? J'aimerais en savoir plus avant d’arrêter définitivement ces moments plaisirs de l'été."

 Je lui réponds  :

Je ne dis pas qu'il ne faut pas manger de viande cuite au barbecue, pour cette première et importante raison que je dis que chacun doit faire ce qu'il veut.

Dans mon laboratoire, les "on doit" ou les "il faut" sont interdits, et nous invitons chacun à prendre des décisions responsables, après recherche.
Pour ce qui concerne le barbecue, je dis plus exactement (et j'ai des tas de références scientifiques à vous donner) que la viande mise au-dessus du feu ou de la braise se charge de benzopyrènes cancérogènes. Que le feu soit vif, avec des flammes,  ou qu'il n'y ait que des braises, que l'on ait utilisé du bois ou du charbon de bois, peu importe.

En revanche, je propose de savoir que si l'on surélève la grille, la quantité de benzopyrènes diminue, mais, surtout, que si l'on met la viande à côté du feu, et non pas dessus, alors la quantité de benzopyrène devient indétectable (pour ne pas dire nulle) : en effet, les viandes cuisent tout  aussi bien, parce que les infrarouges se propagent dans toutes les direction ; mieux encore, on peut mettre derrière la viande un réflecteur, nommé "coquille", qui accélère la cuisson. Et dans cette configuration, évidemment, pas de benzopyrène !

Finalement, s'il est vrai que les benzopyrènes cancérogènes sont effectivement abondants dans les viandes au barbecue classique, je ne crois pas qu'il faille arrêter de cuire ainsi, quand cela n'a lieu que quelques fois. Car le risque n'est grand que pas la répétition des expositions.

D'autre part, je prends souvent l'exemple de la viande au barbecue non pas pour empêcher mes amis de manger des préparations, mais surtout pour inviter à être de bonne foi, et à ne pas se préoccuper de dangers moins avérés, de risques plus faibles (les additifs, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, le gluten, que sais-je ?) quand on fait soi-même bien pire. Il y a d'autres exemples de ce type : fumer, boire, ne pas enlever la peau des pommes de terre, etc.

 Je revendique surtout de la cohérence !














Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

jeudi 24 août 2017

Une observation passionnante

On discute à l'infini des dangers de la chimie, et l'on confond souvent les dangers et les risques. Oui, l'acide sulfurique est dangereux, et il est vrai que cela peut faire des catastrophes quand on met de l'eau dedans (surtout, ne faites pas l'expérience !), tout comme il est vrai que cela fait des catastrophes quand on met de l'eau sur de l'huile bouillante enflammée (surtout, ne faites pas l'expérience !). Dans le premier cas, chimique, l'eau fait avec l'acide sulfurique concentré une réaction qui dégage beaucoup de chaleur, provoque une ébullition qui provoque des projections d'acide sulfurique concentré ; dans le second cas, culinaire, l'eau tombe au fond de la casserole, parce qu'elle est plus dense que l'huile, mais, chauffée par l'huile bouillante, elle s'évapore, et provoque une explosion qui projette de l'huile enflammée partout.
On pourrait multiplier les exemples, pour montrer que la question n'est pas le danger, mais le risque : courir avec un couteau la pointe en l'air, traverser la route, conduire un jour de grands départs, etc. Le danger est dans le moindre de nos actes, et il importe de minimiser les risques. Par exemple, je ne risque pas de me tuer à l'atterrissage si je ne fais pas d'ULM, et le risque de me noyer dans ma baignoire est moindre que si je suis en solitaire au milieu de l'Atlantique.
D'où les consignes de sécurité que l'on donne dans les laboratoires de chimie. Le port des blouses, des gants, des lunettes... Il y a tout un apprentissage... mais je sais que certains débutants voient mal l'intérêt de toutes ces contraintes. N'en fait-on pas un peu trop ?

Non ! 

Aujourd'hui, je viens de trouver, un peu par hasard, une merveilleuse démonstration de la nécessité de faire très attention, lors des expérimentations. Il s'agissait d'un classique  dosage du dioxyde de soufre par une solution de di-iode (je passe sur les détails expérimentaux) : dans une burette, il y avait donc la solution de di-diode, et les gouttes tombaient une à une dans un erlenmeyer (un flacon de forme conique, resserré sur le haut) où était le vin à doser. La burette était bien placée, le plus bas possible pour que les gouttes de solution de di-iode ne tombent pas de haut, et le vin à doser était agité le plus doucement possible par un agitateur magnétique.
Enfin, il faut que je signale que l'erlenmeyer était placé sur un papier blanc, conformément à la méthode officielle que j'utilisais, car cela permettait de mieux voir le changement de couleur, au moment (à la goutte près) où la solution de dosage de di-iode avait fini de consommer tout le dioxyde de soufre du fin.





En cours de dosage, alors, donc, que je manipulais avec beaucoup de précaution, j'ai soudain vu le papier blanc de teinter de noir en quatre endroits : quatre toutes petites taches de di-iode, alors que rien d'anormal n'était arrivé.

Oui, quatre petites taches, qui, grâce à la couleur de la solution de di-iode, m'ont montré que, malgré les précautions, il y a des projections, dans uner telle expérience.

En l'occurrence, il n'y a pas de risque, parce que je portais des gants, des lunettes et une blouse, et aussi parce que les réactifs utilisés n'étaient pas très dangereux, mais c'était surtout une mise en évidence : avec des produits bien plus dangereux, la possibilité de telles projections existe aussi, et, là, il faut absolument être protégé.

 J'y pense : et si, au lieu de faire la morale à nos étudiants, nous leur faisions répéter cette expérience, afin qu'ils voient d'eux-mêmes qu'il y a des projections ? Ainsi convaincus du bien-fondé des règles de sécurité, ils auraient certainement à coeur de les appliquer !

jeudi 10 novembre 2016

A propos de viande rouge et de charcuterie


Faut-il s’inquiéter lorsqu’un aliment se trouve soudain classé parmi les cancérogènes par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) ? Oui, mais raisonnablement.

L’annonce du CIRC avait fait grand bruit en octobre 2015. Comment la charcuterie pouvait-elle se retrouver au même niveau que l’ennemi numéro 1 de la santé publique qu’est le tabac ? Incompréhensible pour qui ne connaît pas les méthodes d’évaluation du
CIRC.

Trois jours après cette annonce controversée, l’OMS précisait dans un communiqué de presse que le classement du CIRC ne signifiait pas qu’il ne fallait plus manger de viande, mais simplement «que réduire la consommation de ces produits pouvait réduire le risque de cancer colorectal».
Pourtant, le mal était fait : un sondage Odoxa effectué pour Le Figaro quatre jours après l’annonce du CIRC révélait que 86% des Français en avaient entendu parler et que 13% envisageaient même de réduire leur consommation.

«Nos classements (groupe 1, 2a, 2b, 3...) n’indiquent pas le niveau de risque associé à un agent carcinogène, mais le niveau de preuve scientifique montrant qu’il est carcinogène»,
s’est défendu le Pr Dana Loomis, l’un des auteurs de la fameuse évaluation.
Le fait que le tabac ou la viande rouge se retrouvent tout en haut de l’échelle du CIRC (groupe 1) signifie simplement que le lien de causalité entre ces produits et le risque de cancer est scientifiquement des plus robustes.
En revanche, si l’on aborde la question par le nombre de morts, ce sont 34.000 décès par an dans le monde qui seraient imputables à une alimentation riche en viandes transformées et 50 000 à la viande rouge, alors qu’un million sont dus au tabac.

L’OMS précise que l’augmentation du risque de cancer colorectal (le principal cancer incriminé avec la viande) est de 18 % pour chaque portion quotidienne de 50 g de charcuterie et de 17 % pour chaque portion quotidienne de 100 g de viande rouge.
Le groupe de travail du CIRC qui s’est penché sur la viande, épluchant près de 2300 articles scientifiques publiés sur le sujet, a décortiqué les données chez l’homme, chez l’animal et, plus fondamentalement, sur les mécanismes de cancérisation. Il apparaît que les données chez l’homme sont jugées «limitées» pour la viande rouge, «ce qui signifie que le lien de causalité est crédible, mais que des biais statistiques ne sont pas complètement exclus». Les preuves sont néanmoins «suffisantes» pour établir un lien de causalité s’agissant de la charcuterie. À l’inverse, les mécanismes de cancérisation sont solidement établis pour la viande rouge, moins clairement pour la charcuterie. Les données des études animales ne permettent pas de trancher.

Conclusion: on peut continuer à manger de la viande rouge et de la charcuterie, mais avec modération… comme pour tous les autres aliments (c'est moi qui ajoute ce qui figure derrière les points de suspension)

jeudi 2 juin 2016

A méditer...

Si les gouvernements ne sont pas certains que le glyphosate est sans danger, les Européens ne devraient pas y être exposés, dit Bert Wander, directeur de campagne d'un collectif qui a recueilli 1,4 million de signatures contre l'utilisation du glyphosate. 





Ah bon ? Rappelons d'abord les  classifications du CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer)


Groupe 1 (cancérogène certain pour au moins une localisation)
118 substances
Groupe 2A (cancérogène probable)
75 substances
Groupe 2B (cancérogène possible)
288 substances
Groupe 3 (inclassable)
503 substances
Groupe 4 (probablement non cancérogène)
1 substance (caprolactame)
 
La catégorie « non cancérogène » n’existe pas… et les gouvernements ne sont donc pas près d’être « certains ».

Pour mémoire :
- la viande transformée et les boissons alcoolisées sont en groupe 1
- la viande rouge est en 2A
- le café en 2B. 


Alors ? 

dimanche 29 mai 2016

Faut-il manger des viandes cuites au barbecue ?

Ce matin, un correspondant (amical) me demande des précisions sur la cancérogénicité des viandes cuites au barbecue, afin de ne plus en manger :
"Vous dites que manger des aliments cuits au barbecue est cancérigène, pouvez-vous me préciser exactement ce qui l'est, est-ce le charbon ou autre chose ? J'aimerais en savoir plus avant d’arrêter définitivement ces moments plaisirs de l'été."

 Je lui réponds  :

Je ne dis pas qu'il ne faut pas manger de viande cuite au barbecue, pour cette première et importante raison que je dis que chacun doit faire ce qu'il veut. Dans mon laboratoire, les "on doit" ou les "il faut" sont interdits, et nous invitons chacun à prendre des décisions responsables, après recherche.
Pour ce qui concerne le barbecue, je dis plus exactement (et j'ai des tas de références scientifiques à vous donner) que la viande mise au-dessus du feu ou de la braise se charge de benzopyrènes cancérogènes. Que le feu soit vif, avec des flammes,  ou qu'il n'y ait que des braises, que l'on ait utilisé du bois ou du charbon de bois, peu importe.
En revanche, je propose de savoir que si l'on surélève la grille, la quantité de benzopyrènes diminue, mais, surtout, que si l'on met la viande à côté du feu, et non pas dessus, alors la quantité de benzopyrène devient indétectable (pour ne pas dire nulle) : en effet, les viandes cuisent tout  aussi bien, parce que les infrarouges se propagent dans toutes les direction ; mieux encore, on peut mettre derrière la viande un réflecteur, nommé "coquille", qui accélère la cuisson. Et dans cette configuration, évidemment, pas de benzopyrène !
Finalement, s'il est vrai que les benzopyrènes cancérogènes sont effectivement abondants dans les viandes au barbecue classique, je ne crois pas qu'il faille arrêter de cuire ainsi, quand cela n'a lieu que quelques fois. Car le risque n'est grand que pas la répétition des expositions.
D'autre part, je prends souvent l'exemple de la viande au barbecue non pas pour empêcher mes amis de manger des préparations, mais surtout pour inviter à être de bonne foi, et à ne pas se préoccuper de dangers moins avérés, de risques plus faibles (les additifs, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, le gluten, que sais-je ?) quand on fait soi-même bien pire. Il y a d'autres exemples de ce type : fumer, boire, ne pas enlever la peau des pommes de terre, etc.

 Je revendique surtout de la cohérence !

samedi 29 août 2015

A propos d'un article contre la cuisine moléculaire

 Les critiques portées contre la cuisine moléculaire sont étonnantes, récurrentes, et tendancieuses.


Mais avant toute chose, qu'est-ce que la cuisine moléculaire ? 

Souvent, il y a confusion entre gastronomie moléculaire et cuisine moléculaire, et cette confusion résulte d'une confusion sur le mot "gastronomie", que certains interprètent comme de la cuisine d'apparat, alors que le terme a été introduit pour désigner "la connaissance raisonnée de ce qui se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit". Autrement dit, les études historiques de la cuisine sont de la gastronomie historique ; les études sociologiques de la gastronomie sociologique... et les études physico-chimiques de la gastronomie moléculaire.

La cuisine moléculaire ? C'est moi qui ait introduit la terminologie (et je conviens qu'elle est mal choisie), pour désigner la technique culinaire rénovée : dès le début des années 1980, il me semblait ahurissant que l'on continue à cuisiner avec des ustensiles qui datent du  passé, alors qu'au même moment, on prend l'avion, on utilise des ordinateurs, au lieu de rouler en char à boeufs et d'écrire à la plume d'oie et à l'encre.
Rénover les techniques culinaires ? Il s'agissait simplement de rationaliser les opérations et d'avoir une réflexion technologique. Si l'on veut foisonner, il faut un instrument approprié ; si l'on veut émulsionner, l'instrument doit être différent (dans les laboratoires de physico-chimie, on utilise à cette fin des sondes à ultrasons) ; si l'on veut filtrer, broyer, chauffer, refroidir, condenser, décanter, etc., alors les catalogues de matériel de laboratoire offrent des systèmes mieux pensés, que j'avais proposé d'introduire en cuisine. C'est cela, d'abord, la cuisine moléculaire, et il n'y a pas de quoi fouetter un chat, ni publier un article tendancieux ?

Cette introduction étant faite, il y a effectivement eu des incidents dans des restaurants de cuisine moléculaire... comme il y  en a sans cesse dans les restaurants plus traditionnels. Mais il est vrai qu'une certaine mode du "cru" expose davantage les mangeurs à des risques microbiologiques. La cuisson à basse température, introduite grâce à l'usage de systèmes  précis de chauffage, procure des résultats merveilleux, à condition de bien les maîtriser, sous peine de prolifération microbienne.
Cette cuisson à basse température s'est imposée pour les résultats qu'elle permet d'obtenir, mais aussi pour des raisons économiques : à basse température, des viandes dures s'attendrissent, et, de surcroît, la masse servie est voisine de la masse achetée, alors que, pour un rôtissage, on perd jusqu'à 25 pour cent de la masse. Personnellement, j'ai toujours pris soin d'alerter mes interlocuteurs cuisiniers sur la nécessité de chauffer suffisamment, afin de ne pas risque des proliférations microbiennes dangereuses, ou l'absence d'inactivation des parasites éventuels. C'est ainsi que, pour le porc, le sanglier, le cheval, je préconise la plus grande prudence.

Cela dit, les journaliste qui attaquent la cuisine moléculaire tombent souvent dans la faute de pensée nommée généralisation, confondant l'usage de produits de la catégorie des additifs avec des incidents microbiologiques. Derrière cette confusion (volontaire ?), il y a souvent de l'idéologie, et notamment des idées très fausses à propos de la "chimie". On doit répéter que le caramel est un additif.... qu'utilisent tous les pâtissiers, artisans ou pas. Ou encore que l'additif E460 n'est autre que le "vert d'épinard" produit depuis des siècles par les cuisiniers pour verdir leurs préparations. L'acide citrique ? Il y en a plein le jus de citron. L'acide ascorbique ? Une vitamine que l'on élimine dans les urines quand elle est en excès, et avec laquelle Linus Pauling prétendait soigner presque tout.
Surtout nombre de critiques de la cuisine moléculaire tombent dans le mythe du "bon naturel", oubliant que la ciguë est naturelle est parfaitement mortelle, par exemple.
Bref, j'hésite toujours, face à de tels articles : s'agit-il d'ignorance ? d'idéologie ? de peur  ? de la malhonnêteté qu'il y a à faire du scandale pour vendre les journaux ?

Récemment, un article qui faisait état des prétendus risques de la cuisine moléculaire reproduit étonamment ce qui a été publié vers 1996, avec les mêmes arguments, et aucune nouveauté. Les faits rapportés sont tendancieux. Par exemple, les journalistes qui ont produit ce torchon signalent des incidents chez le chef anglais Heston Blumenthal (que je n'ai pas à défendre : il est assez grand), mais, en réalité,  l'enquête des services vétérinaires avait finalement établi que tout était venu des huîtres ! L'article confond donc tout, de la cuisson basse température avec les additifs, oubliant que le braisage est une cuisson à basse température, et  que le caramel est un additif. Et en oubliant qu'une salade de carottes, c'est cuisiner à froid, donc rien de nouveau sous le soleil, de ce point de vue. En revanche, les professionnels doivent faire attention, et c'est la raison pour laquelle l'Education nationale promeut très justement la méthode HACCP.

En réalité, c'est l'ignorance qui fait le risque : ainsi, je m'inquiète de voir la peau des pommes de terre servie avec les tubercules, alors qu'une étude récente a montré que le seuil de toxicité en glycoalcaloïdes est atteint au Pakistan, pour la cuisine de rue (ces alcaloïdes résistent très bien aux températures de friture par exemple). Ainsi je m'inquiète de voir des infusions d'estragon dans l'alcool (le méthylchavicol est soluble dans l'éthanol, et très toxique), ou des macérations  de grappes de tomates dans l'huile (ce qui extrait un composé toxique), sans parler des plantes dont on ne sait pas bien la toxicité.
Ces pratiques "traditionnelles" ne justifient pas, évidemment, les mauvaises pratiques de cuisine moléculaire, mais c'est moins le principe que son application qui est en cause : un steak trop salé, cela ne condamne pas le steak grillé en général, mais un steak trop salé en particulier.

Oui, les nouvelles techniques sont dérivées d'analyses scientifiques, et il est vrai que la cuisine moléculaire découle de la gastronomie moléculaire. Oui, le passage de la science à la technique conduit à des risques nouveaux : la découverte de l'atome, et la bombe atomique ; la découverte de l'électricité et la chaise électrique ; la découverte des micro-organismes et des attaques à l'anthrax ; la découverte du feu et les incendies... Je maintiens que les responsables d'un acte condamnable sont ceux qui ont fait cet acte, et non les scientifiques qui ont fait la découverte. Pierre et Marie Curie ne sont pas responsables d'Hiroshima !

A propos d'un article contre la cuisine moléculaire

 Les critiques portées contre la cuisine moléculaire sont étonnantes, récurrentes, et tendancieuses.


Mais avant toute chose, qu'est-ce que la cuisine moléculaire ? 

Souvent, il y a confusion entre gastronomie moléculaire et cuisine moléculaire, et cette confusion résulte d'une confusion sur le mot "gastronomie", que certains interprètent comme de la cuisine d'apparat, alors que le terme a été introduit pour désigner "la connaissance raisonnée de ce qui se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit". Autrement dit, les études historiques de la cuisine sont de la gastronomie historique ; les études sociologiques de la gastronomie sociologique... et les études physico-chimiques de la gastronomie moléculaire.

La cuisine moléculaire ? C'est moi qui ait introduit la terminologie (et je conviens qu'elle est mal choisie), pour désigner la technique culinaire rénovée : dès le début des années 1980, il me semblait ahurissant que l'on continue à cuisiner avec des ustensiles qui datent du  passé, alors qu'au même moment, on prend l'avion, on utilise des ordinateurs, au lieu de rouler en char à boeufs et d'écrire à la plume d'oie et à l'encre.
Rénover les techniques culinaires ? Il s'agissait simplement de rationaliser les opérations et d'avoir une réflexion technologique. Si l'on veut foisonner, il faut un instrument approprié ; si l'on veut émulsionner, l'instrument doit être différent (dans les laboratoires de physico-chimie, on utilise à cette fin des sondes à ultrasons) ; si l'on veut filtrer, broyer, chauffer, refroidir, condenser, décanter, etc., alors les catalogues de matériel de laboratoire offrent des systèmes mieux pensés, que j'avais proposé d'introduire en cuisine. C'est cela, d'abord, la cuisine moléculaire, et il n'y a pas de quoi fouetter un chat, ni publier un article tendancieux ?

Cette introduction étant faite, il y a effectivement eu des incidents dans des restaurants de cuisine moléculaire... comme il y  en a sans cesse dans les restaurants plus traditionnels. Mais il est vrai qu'une certaine mode du "cru" expose davantage les mangeurs à des risques microbiologiques. La cuisson à basse température, introduite grâce à l'usage de systèmes  précis de chauffage, procure des résultats merveilleux, à condition de bien les maîtriser, sous peine de prolifération microbienne.
Cette cuisson à basse température s'est imposée pour les résultats qu'elle permet d'obtenir, mais aussi pour des raisons économiques : à basse température, des viandes dures s'attendrissent, et, de surcroît, la masse servie est voisine de la masse achetée, alors que, pour un rôtissage, on perd jusqu'à 25 pour cent de la masse. Personnellement, j'ai toujours pris soin d'alerter mes interlocuteurs cuisiniers sur la nécessité de chauffer suffisamment, afin de ne pas risque des proliférations microbiennes dangereuses, ou l'absence d'inactivation des parasites éventuels. C'est ainsi que, pour le porc, le sanglier, le cheval, je préconise la plus grande prudence.

Cela dit, les journaliste qui attaquent la cuisine moléculaire tombent souvent dans la faute de pensée nommée généralisation, confondant l'usage de produits de la catégorie des additifs avec des incidents microbiologiques. Derrière cette confusion (volontaire ?), il y a souvent de l'idéologie, et notamment des idées très fausses à propos de la "chimie". On doit répéter que le caramel est un additif.... qu'utilisent tous les pâtissiers, artisans ou pas. Ou encore que l'additif E460 n'est autre que le "vert d'épinard" produit depuis des siècles par les cuisiniers pour verdir leurs préparations. L'acide citrique ? Il y en a plein le jus de citron. L'acide ascorbique ? Une vitamine que l'on élimine dans les urines quand elle est en excès, et avec laquelle Linus Pauling prétendait soigner presque tout.
Surtout nombre de critiques de la cuisine moléculaire tombent dans le mythe du "bon naturel", oubliant que la ciguë est naturelle est parfaitement mortelle, par exemple.
Bref, j'hésite toujours, face à de tels articles : s'agit-il d'ignorance ? d'idéologie ? de peur  ? de la malhonnêteté qu'il y a à faire du scandale pour vendre les journaux ?

Récemment, un article qui faisait état des prétendus risques de la cuisine moléculaire reproduit étonamment ce qui a été publié vers 1996, avec les mêmes arguments, et aucune nouveauté. Les faits rapportés sont tendancieux. Par exemple, les journalistes qui ont produit ce torchon signalent des incidents chez le chef anglais Heston Blumenthal (que je n'ai pas à défendre : il est assez grand), mais, en réalité,  l'enquête des services vétérinaires avait finalement établi que tout était venu des huîtres ! L'article confond donc tout, de la cuisson basse température avec les additifs, oubliant que le braisage est une cuisson à basse température, et  que le caramel est un additif. Et en oubliant qu'une salade de carottes, c'est cuisiner à froid, donc rien de nouveau sous le soleil, de ce point de vue. En revanche, les professionnels doivent faire attention, et c'est la raison pour laquelle l'Education nationale promeut très justement la méthode HACCP.

En réalité, c'est l'ignorance qui fait le risque : ainsi, je m'inquiète de voir la peau des pommes de terre servie avec les tubercules, alors qu'une étude récente a montré que le seuil de toxicité en glycoalcaloïdes est atteint au Pakistan, pour la cuisine de rue (ces alcaloïdes résistent très bien aux températures de friture par exemple). Ainsi je m'inquiète de voir des infusions d'estragon dans l'alcool (le méthylchavicol est soluble dans l'éthanol, et très toxique), ou des macérations  de grappes de tomates dans l'huile (ce qui extrait un composé toxique), sans parler des plantes dont on ne sait pas bien la toxicité.
Ces pratiques "traditionnelles" ne justifient pas, évidemment, les mauvaises pratiques de cuisine moléculaire, mais c'est moins le principe que son application qui est en cause : un steak trop salé, cela ne condamne pas le steak grillé en général, mais un steak trop salé en particulier.

Oui, les nouvelles techniques sont dérivées d'analyses scientifiques, et il est vrai que la cuisine moléculaire découle de la gastronomie moléculaire. Oui, le passage de la science à la technique conduit à des risques nouveaux : la découverte de l'atome, et la bombe atomique ; la découverte de l'électricité et la chaise électrique ; la découverte des micro-organismes et des attaques à l'anthrax ; la découverte du feu et les incendies... Je maintiens que les responsables d'un acte condamnable sont ceux qui ont fait cet acte, et non les scientifiques qui ont fait la découverte. Pierre et Marie Curie ne sont pas responsables d'Hiroshima !

samedi 14 février 2015

Les généralités nous empêtrent.

Les Allemands sont disciplinés, les Anglais ont le sens de l'humour, les Espagnols sont fiers, les Italiens sont volubiles...  Ce genre de déclarations est évidemment intenable, et je ne veux pas oublier que la généralisation est souvent une façon de catégoriser un groupe avec lequel on discute par des arguments ad hominem, donc fautifs. Pourtant, la faute est connue depuis longtemps, et le physico-chimiste Michael Faraday avait, dans ses six règles de vie, celle qui stiupulait d'éviter les générarations hâtives. 

J'en viens à mon point : en matière d'alimentation, il y a souvent chez les "élites" cette idée qu'il faudrait réconcilier "le citoyen" avec son alimentation, mais est-ce légitime? Cela fait en effet l'hypothèse que tous les citoyens ont peur  de leur alimentation, mais cela n'est pas vrai : il y en a qui n'ont pas peur, il y en a qui ne se posent pas la question, il y en a qui ont peur de certains aliments seulement, et, d'autre part, il y a des aliments sans risque et d'autres où il est légitime de s'interroger.
D'ailleurs, s'interroger ne signifie pas avoir peur, mais simplement être prudent. Peut-on reprocher au citoyen d'être prudent, en matière alimentaire ? Ce serait à la fois déraisonnable, et ignorer que la biologie de l'évolution monttre bien que notre espèce n'a survécu qu'en raison d'une certaine prudence.


Faut-il alors "réconcilier le citoyen avec son alimentation" ? 

Je propose de laisser le citoyen juger par lui-même à partir de faits justes qu'on lui aura donnés. 



Et c'est un fait que les dernières années ont connu des crises alimentaires qui méritaient quelque attention. Certes la fraude à la viande de cheval qui était vendue pour la viande de boeuf n'a pas exposé la santé des citoyens, mais il n'en reste pas moins que l'affaire était grave et que les citoyens ont eu raison de demander à la fois des punitions exemplaires et une analyse des systèmes de contrôle qui s'étaient quand même montré défaillants.
Auparavant, il y a eu des morts dans l'affaire où l'on avait initialement incriminé des concombres et où l'on a finalement découvert que la cause était des graines germées de soja bio. Dans cette affaire, c'est un fait qu'il y a eu des morts, et il semble assez grave que l'on ait pu incriminer des concombres, alors qu'il s'agissait de graine germées de soja (bio, j'insiste). Là encore, le citoyen a raison de s'interroger sur le système de contrôle.
Auparavant, il y avait la crise de la vache folle, et,  là encore,  le citoyen avait raison de dmenader des mesures. La question n'est donc pas là,  mais peut-être dans les rapports compliqués qu'entretient la presse avec l'alimentation. La presse fait son devoir  quand elle explique correctement les faits, quand elle ne va pas au-delà de ces derniers, et la question  est de savoir si nous pouvons supporter des morts, si nous pouvons relativiser les différentes affaires  de crises alimentaire. Il y a des questions de coût social dont il faut débattre, et si les citoyens jugent qu'il est plus important de dépenser beaucoup d'argent sur ces questions que pour les accidents de la route (plus de 3000 personnes en 2014, contre 33 pour toute l'Europe avec les graines germées, 0 pour la fraude à la viande de cheval, environ 200 depuis le début de la crise) , c'est son droit absolu.
Ce n'est donc pas à une élite de dire ce que le citoyen doit faire, ce qui serait une position très supérieure, et je propose que nous nous en tenions à une exposition juste des faits, à une sorte de militantisme de la vérité. C'est ainsi que nous rendrons véribalement service à nos concitoyens. 


dimanche 19 décembre 2010

Une publication à lire ou à relire

On ne saurait trop recommander la lecture de :
Dietary pesticides (99.99 all natural), par Bruce Ames, Margie Profet, Lois Swirksy Gold, Proc Natl Acad Sci USA, vol 87, pp. 7777-7781, October 1990

Je traduis le résumé :
L'importance toxicologique de l'exposition aux composés de synthèse est exploré dans le contexte des expositions aux composés naturels. Nous avons calculé que 99.99 % (en masse) des pesticides présents dans l'alimentation des Américains sont des composés produits par les plantes pour se défendre. Seuls 52 pesticides naturels ont été testés avec des modèles animaux, et environ la moitié (27) sont des carcinogènes des rongeurs ; ces 27 composés sont présents dans de nombreux aliments. Nous concluons que les composés naturels et synthétiques ont la même probabilité d'être cancérogènes, selon les tests. Nous conluons aussi que, aux faibles doses où ils se rencontrent chez l'homme, les risques des résidus de pesticides de synthèse sont insignifiants par rapport aux risques engendrés par les pesticides naturels.