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mardi 20 février 2024

Récepteurs et métabolisme

 
Ce matin, au cours d'une conférence, alors que j'évoquais la découverte récente de récepteurs des ions calcium dans la bouche, un des auditeurs m'a demandé si ces récepteurs étaient chez tous les individus ; il pensait à une distribution géographique, avec certaines populations qui auraient eu le récepteur du calcium, et d'autres qui ne l'auraient pas eues. 

La découverte des récepteurs gustatifs du calcium est si récente que l'on ne sait pas répondre à sa question pour l'instant, mais on peut raisonnablement supposer que ces récepteurs sont chez tous les êtres humains, car nous avons tous besoin de calcium pour construire nos os ; cela est une caractéristique constitutive de l'être humain, quelle que soit son origine génétique, géographique, culturelle, etc. 

Il en va différemment du métabolisme du lactose, par exemple. Le lactose est un sucre (pas le sucre habituel, qui, lui, est le saccharose) présent dans le lait et que les adultes humains ne métabolisaient plus (on verra plus loin pourquoi je mets la chose au passé). C'est un sucre, ce qui signifie qu'il contient beaucoup d'énergie sous forme chimique, potentiellement utilisable par l'organisme. Toutefois, il y a plus de 6000 ans, les adultes humains ne métabolisaient généralement pas le calcium, et c'est sans doute la raison pour laquelle notre espèce en est venue à consommer des produits laitiers fermentés, notamment par les bactéries lactiques qui, partant du lactose, produisent de l'acide lactique, lequel a l'avantage supplémentaire d'acidifier les milieux et de prévenir sa contamination par des micro-organismes qui ne supportent pas l'acidité. Il y a très longtemps, l'être humain n'avait pas de besoin biologique de métaboliser le lactose après l'adolescence, et c'est le développement de l'agriculture et de l'élevage qui ont conduit à la disponibilité de lait.
On a découvert, il y a peu, que, sans doute au nord de l'Europe, une mutation génétique est apparue dans l'espèce humaine, donnant aux individus qui avaient cette mutation la possibilité de métaboliser le lactose. Etre capable de métaboliser aussi bien le lactose que l'acide lactique est un avantage biologique, et le gène du métabolisme du lactose s'est rapidement répandu en Europe. On voit que c'est là une capacité nouvelle, qui n'est pas constitutive de l'être humain, qui pourrait vivre sans métaboliser le lactose à l'âge adulte. 

Ces deux exemples ne sont que des exemples, mais je trouve qu'ils montrent bien comment la biologie de l'évolution permet de mieux comprendre les caractéristiques « alimentaires » de l'espèce humaine. Je sais qu'il faut éviter d'utiliser la biologie de l'évolution pour justifier des faits, mais j'espère ne pas avoir été trop téléologique dans ma description. 

La téléologie ? C'était la faute de Pangloss, ce philosophe mis en scène par Voltaire dans sa nouvelle intitulée Candide et qui proposait que Dieu nous ait équipé d'un nez pour que nous puissions porter des lunettes. C'est évidemment une naïveté terrible, mais je l'évoque, car une certaine vulgarisation de la biologie de l'évolution conduit à des discours analogues. 

Terminons plus positivement en reconnaissant que les études scientifiques, qu'elles soient de physiologie sensorielle ou de sciences nutritionnelles, conduisent à plus d'intelligence, et apprenons seulement à ne pas confondre la vulgarisation avec la science.

vendredi 13 mars 2020

Une molécule est une molécule



Ce matin, plusieurs questions, mais en voici une en particulier, qui mérite un commentaire public :


J'ai une question par rapport aux molécules synthétiques vs naturelles. Je sais que les propriétés physiques ainsi que l'odeur et le goût des molécules synthétiques vs naturelles sont identiques ex linalool synth vs naturel. Qu'en est-il de leurs activités biologiques et de leur propriétés toxicologiques ? Pouvez-vous me diriger vers des articles et références qui étudient cette question ?

Ici, je sais d'expérience qu'il y a la question des mots, qui est source de confusions. Une molécule, c'est donc un tout petit objet, fait d'atomes de divers éléments, liés par des forces interatomiques (une sorte de pléonasme que cet adjectif). Les éléments considérés, ici, sont principalement le carbone, l'hydrogène et l'oxygène. Et pour ces trois éléments, les atomes sont faits d'un "noyau", assemblage de protons et de neutrons, avec autour des électrons, comme la terre autour du soleil.
Les effets biologiques des molécules ? Une molécule a un effet si elle a un "récepteur", à savoir si l'organisme comporte une molécule agissant comme une serrure vis à vis de la molécule bioactive, qui est comme une clé. Et la disposition des atomes est donc très essentielle. Donc tout est simple, au premier ordre. Et une molécule est entièrement déterminée par ses atomes, leur disposition. 
Maintenant, il peut y avoir des effets qui sont au niveau du détail des détails. Par exemple, certains atomes d'hydrogène peuvent avoir dans leur noyau, en plus du proton, un neutron, et c'est ce que l'on désigne par "deutérium". Les propriétés chimiques sont quasi identiques, mais des outils de mesure très sensibles voient des différences... et c'est ainsi qu'une entreprise française d'analyse a fait son succès commercial en devenant capable de détecter du sucre ajouté dans les vins, pour des chaptalisations ou pour des fraudes. Mais, je le répète, c'est un détail au regard de la question posée.

Maintenant, synthétique et naturel ? Une molécule naturelle, c'est une molécule qui se trouve dans la nature, fabriquée par les plantes ou par les animaux, voire par les éléments (la chaleur, la foudre, etc.). En revanche, une molécule synthétisée, c'est une molécule qui a été... synthétisée, à savoir qu'on a rassemblé des atomes d'une certaines façon pour faire la molécule. Et, évidemment, si l'on même les mêmes atomes organisés de la même façon, on obtient la même molécule, qui ira ouvrir les mêmes serrures !

Cela dit, on peut répondre plus subtilement que cela à la question de notre interlocuteur, parce que l'on peut synthétiser avec des niveaux de précision variés, parce que la question des "impuretés" est essentielle : les composés extraits de produits naturels ne sont pas accompagnés des mêmes "impuretés" que les produits de synthèse (parfois plus purs que les produits naturels).
Par exemple, notre correspondant parle de linalol, qui est un composé odorant présent dans de nombreux végétaux. Parler du linalol au singulier, c'est une erreur, parce qu'il y a divers linalols, et que le (S)-(+)-linalol n'a pas la même odeur -donc pas les mêmes effets biologiques que le (R)-(-)-linalol. Mais une molécule d'un de ces deux linalols est une molécule de ce linalol-là, quoi qu'il arrive. Et la question "isotopique" précédente (l'hydrogène vs le deutérium) ne se pose pas, du point de vue de l'odeur.
En revanche, quand on a un de ces deux linalols dans une matière végétale, elle n'est pas seule, et aucune  plante n'a donc l'odeur de ce linalol particulier. Puis, si l'on extrait ce composé, il n'est plus "naturel", mais d'origine naturelle... et son extraction ne permet généralement pas de l'avoir pur ! De sorte qu'il y a des "impuretés"... et que ces impuretés peuvent être essentielle. C'est ainsi que le mélange des deux limonènes R et S n'a pas d'odeur quand il est fraîchement obtenu par distillation... et que cette odeur de Citrus n'apparaît qu'ensuite, sans doute  due aux impuretés, plutôt qu'aux limonènes.
Pour les composés de synthèse, il y a également des impuretés, qui résultent du procédé de préparation, et il n'est d'ailleurs pas dit que ces impuretés soient plus abondantes ou plus dangereuses, bien au contraire : les opérations de synthèse étant mieux contrôlées que les extractions (qui partent de mélanges complexes), il est possible qu'il y ait bien moins d'impuretés.

Enfin, mon interlocuteur me parle d' "activités biologiques et propriétés toxicologiques" : amusant, car les effets toxicologiques sont des activités biologiques, non ? Car je fais l'hypothèse, vu les composés qu'il discute, que ce sont de toutes petites quantités de composés qui sont considérées ici, de sorte que l'on est bien dans le cadre des clés et des serrures, des composés bioactifs et de  récepteurs. Là, les impuretés sont essentielles, car elles peuvent avoir des récepteurs, que les composés soient d'origine naturelle ou synthétisés, et quelqu'un qui fait bien son travail, d'extraction ou de synthèse, se préoccupe de cela.
Mais finalement, une molécule est une molécule, n'est-ce pas ?

samedi 29 mars 2014

29 mars 2014 : Acclimatons la pipérine


Le poivre a un parfum,  mais c'est également un fait qu'il fait éternuer, et qu'il pique la bouche. Pourquoi ? Les physico-chimistes ont cherché à le savoir, et ils ont fractionné le poivre, c'est-à-dire qu'ils ont cherché à le diviser, à le diviser encore et encore, jusqu'à trouver une « fraction », une partie, qui soit précisément celle qui pique. Ces divisions se font simplement, par des opérations classiques de filtration, de broyage, de macération, de distillation...
Ainsi on sait que les constituants des végétaux sont le plus souvent soit solubles dans l'eau, soit solubles dans l'huile. Par conséquent, si l'on broie du poivre et qu'on place le poivre broyé avec de l'eau et de l'huile, les constituants du poivre iront se dissoudre dans l'eau, et d'autres iront dans l'huile. Il suffit alors de séparer l'huile de l'eau par décantation (on incline le bocal pour faire couler l'huile dans un autre récipient), et l'on goûte ensuite l'eau, d'une part, et l'huile, d'autre part, en se demandant quel est le liquide qui pique la bouche. Ce liquide dissout donc les constitutions piquants du poivre. Cela dit, comme de nombreux constituants peuvent se dissoudre dans l'eau ou dans l'huile, on doit répéter l'opération par d'autres moyens.  Ainsi, progressivement, on obtient une fraction du poivre que l'on ne parvient plus à diviser, et l'on s'arrête.
Jusqu'ici, j'ai utilisé le mot “constituants”, mais, en réalité, j'aurais mieux fait de dire “composés”, puisque c'est le terme juste. Cela n'est guère plus difficile, puisqu'il s'agit seulement d'un mot, n'est-ce pas ? Ajoutons également que le poivre tout entier est donc la somme de ses fractions, de même que  les six parts d'une tarte coupée en six refont la tarte entière, si l'on réunit les six parts. Évidemment il serait quasi impossible de refaire du poivre à partir de ses fractions, de même que la tarte divisée reste divisée même quand on regroupe les six parts, mais l'idée demeure : rien ne se perd, rien ne se crée (une idée qui date des Grecs, et pas de Lavoisier, qui a eu d'autres mérites que d'inventer cette formule), et le poivre est composé de tous les composés différents que l'on peut séparer.
Parmi ces composés, il y en a donc un au moins qui pique. Ce composé a été séparé en 1819 par Hans Christian Oested, et il a été nommé pipérine. Cette pipérine, à l'état pur, se présente sous la forme d'un solide blanc, souvent divisé en raisons des opérations de fractionnement, c'est-à-dire en pratique que l'on a une poudre blanche. Cette poudre pique la bouche et le nez très puissamment, puisque le principe piquant n'est alors plus dilué comme il le serait dans le poivre. Cette poudre n'a pas le parfum du poivre, mais seulement le piquant. Elle n'a pas de saveur, puisque les molécules dont elle est constituée n'agissent pas sur les récepteurs de la saveur (ni sur ceux de l'odeur), mais seulement sur les récepteurs trigéminaux, c'est-à-dire des espèces de petites serrures associées à un nerf à trois branche (le nerf « trijumeau ») qui vient de l'arrière du cerveau et qui irrigue le nez et la bouche.
Ici, il faut s'arrrêter  une seconde sur cette histoire de “petites serrures”. Le véritable nom est « récepteur » : ce sont des molécules qui s'apparentent à de petites serrures où des clés viendraient se loger. Ici, pour les récepteurs trigéminaux de la pipérine, les clés sont les molécules de pipérine. C'est donc tout simple : il y a des clé et des serrures, mais ces objets ne sont pas les objets macroscopiques, ; ce sont des objets minuscules, des molécules. Ajoutons également que le mécanisme d'action de la pipérine sur le récepteur de la pipérine n'est pas celui d'une clé dans une serrure, ou du moins dans une serrure mécanique. Il faut seulement garder l'idée que la clé s’emboîte bien à la serrure : la pipérine s'attache chimiquement au récepteur, comme un aimant à un autre aimant. Dans le cas présent, l'attachement déforme la serrure, qui devient électriquement chargée, comme quand on frotte une règle en plastique contre un pull over. La déformation de la liaison de la clé à la serrure provoque la libération d'un courant électrique dans le nerf trijumeau, vers le cerveau. Et c'est bien un courant électrique qui est alors conduit par le nerf jusqu'au cerveau. Ce courant code un signal, le signal du piquant,  comme le coulant électrique engendré dans l'antenne d'un poste de radio est décodée par le poste pour faire des sons.
En pratique, l'usage culinaire de la pipérine est tout simple, puisqu'il s'agit simplement d'en prendre une pincée, et l'ajouter à un plat pour lui donner du piquant, tout comme l'on ferait avec du poivre. Facile, non ?