Affichage des articles dont le libellé est matériels. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est matériels. Afficher tous les articles

mercredi 19 janvier 2022

Où passe l'argent des contribuables

 Des jeunes journalistes sont venus visiter mon laboratoire, et je me suis  souvenu d'une visite que j'avais faite moi-même, il y a très longtemps, chez un collègue que se région avait bien doté en matériels scientifiques : je m'étais étonné de voir tant de  matériel coûteux, et  personne en train de les utiliser : comment est-il possible que l'État mobilise des locaux, du chauffage, de l'électricité, des matériels... et que l'on ne voie aucune activité ?

La question doit être posée, parce qu'il y a -évidemment- une réponse, qui tient à la nature des sciences de la nature.
Ces sciences reposent sur deux pieds : des expériences et de la théorie (du calcul). Mais il faut ajouter que le calcul, s'il doit se fonder sur des résultats expérimentaux parfaitement fiables, obtenus avec rigueurs, validés, est long, difficile, et il se fait devant un ordinateur, et pas devant un appareil d'analyse, par exemple.

D'ailleurs, j'ai dit "calcul", mais il faut dire aussi interprétations, élaborations théoriques, recherche de mécanismes, constitution de théorie, recherche (théorique) de conséquences testables des théories, etc. Le calcul intervient dans ces activités, et c'est bien cet aspect quantitatif qui distingue les sciences de la natures d'autres activités. Le calcul, les équations, les modélisations...

D'ailleurs, il faut ajouter que bien des stagiaires qui viennent dans notre groupe de gastronomie moléculaire passent l'essentiel de leur temps à "faire des expériences" plutôt qu'à faire la partie théorique, essentielle. Ils ont une position de technicien, rarement de scientifiques... sauf quand ils en arrivent au compte-rendu de stage... pour lequel ils manquent alors de temps.

Rencontrant nos jeunes journalistes, leur faisant visiter notre laboratoire, j'ai donc pris les devants, pour expliquer que nous prenons le plus grand soin de l'argent des contribuables. Nous nous soucions éminemment de la mission qui nous est confiée par la collectivité, avec responsabilité.

Et nous n'oublions pas que cette mission, c'est la "découverte".

Je n'ai pas eu l'occasion d'évoquer des questions telles que : ne pourrait-on pas mutualiser ces équipements ? Cette question des "plateformes expérimentales" est intéressante, pas facile : il y a de savants calculs économiques à faire pour comparer l'achat de matériels par petites équipes, d'une part, et la consitution de gros centres où les scientifiques iraient faire leurs expériences. Et cela doit inclure des déplacements, du temps de perdu en transports, des files d'attente, etc.  

D'autant que des matériels facilement accessibles peuvent être confiés à des stagiaires, qui apprennent à les utiliser.

Bref, il y a des questions difficiles, qu'il faut toujours évoquer de façon limpide, sans tabou... mais sans avoir la prétention d'y répondre hâtivement : la réponse ne vaudrait rien !

samedi 24 juillet 2021

Les matériels et les méthodes : avant les résultats !


Je suis très opposé à cette pratique de certaines publications scientifiques qui mettent les descriptions de matériels et de méthodes à la fin des articles.

En effet, il y a de nombreuses façon de présenter des résultats scientifiques, mais une des façons les plus courantes -ça n'a pas toujours été le cas- est de commencer par une introduction, pour poser le problème exposé, puis de présenter les matériels et les méthodes qui ont été mis en œuvre pour réaliser les expériences avant d'arriver aux résultats, et,  enfin seulement, les discussions.

Cette méthode me semble tout à fait bonne, et en tout cas bien supérieure à plusieurs autres.
Par exemple, il y a des revues qui imposent la présentation des matériels et des méthodes en fin d'article. Mais comment pouvons-nous juger des résultats si nous ne savons pas comment ils ont été obtenus ?
Cela n'a guère de sens de sorte qu'en pratique, pour ce qui me concerne en tout cas, je vais toujours d'abord en fin d'article chercher les informations méthodologiques avant de revenir aux résultats... preuve que cette méthode est mauvaise.
Au fond, donner des résultats sans donner aux lecteurs la possibilité  d'évaluer  leur pertinence,  c'est  une forme d'argument d'autorité que je déteste absolument et qui n'a pas sa place dans les sciences de la nature.

Une autre manière criticable consiste à mêler les résultats et les discussions. Là, je trouve que c'est tout à fait mauvais, car on ne peut interpréter que des résultats qui ont été d'abord été donnés,  et l'expérience prouve que le mélange les résultats et des interprétations conduit à des fautes. Il est tellement plus clair de présenter les résultats, et ensuite seulement la discussion de ces derniers : pourquoi s'en priver.
Ajoutons que même des journalistes qui font bien leur travail savent que l'on ne mêle pas les faits et les interprétations. Hubert Beuve-Méry, qui fut une grande figure du journal Le Monde l'avait mis en exergue alors qu'il était en activité.

dimanche 16 mai 2010

Vive les "Matériels et Méthodes"

L'examen d'un article d'Antoine Laurent de Lavoisier consacré aux bouillons de viande est troublant, parce que les données sont "ajustées" : Lavoisier a mesuré la densité des bouillons de viande, et il a cherché une relation entre ces densités et la quantité de matière sèche dans les bouillons. Jusque là, rien de particulier.
Sauf que Lavoisier donne des densités avec six chiffres décimaux, qu'un calcul d'incertitudes bien fait montre hors d'atteinte par la méthode qu'il avait utilisée, et que le quotient des densités par les matières sèches montre une relation exacte, absolument exacte, entre les deux séries de données, ce qui n'est pas possible.

Toutefois, je ne propose pas de démolir ici Lavoisier, dont l'article en question révèle en réalité le génie, mais plutôt de considérer pourquoi des imbéciles comme nous sont en mesure, aujourd'hui, de discuter l'article : nous sommes des nains perchés sur les épaules des géants.

La lecture de l'article, essentiellement, montre que la science a considérablement progressé en réclamant de ceux qui la pratiquent une partie intitulée "Matériels et Méthodes", où tout est décrit : les matériels, leurs caractéristiques, les raisons du choix de ces matériels, les produits, les méthodes, les raisons du choix des produits et des méthodes... Tout!

N'est-ce pas une garantie que l'on n'a pas fait les choses au hasard, et, donc, que l'on a fait du mieux que l'on pouvait? L'exercice est parfois fastidieux, mais si les "rapporteurs" des publications sont des gens bienveillants (il faudra un billet à ce sujet), alors nous sommes poussés à faire bien, ce qui est quand même une grande satisfaction : la vertu est sa propre récompense!

Chérissons donc les "Matériels et Méthodes", comprenons que c'est un acquis de la science moderne... et généralisons : dans nos activités, ne pourrions-nous pas nous comporter selon cette idée? Nos comportements s'en trouveraient un peu rationalisés, et des choix arbitraires apparaîtraient mieux. Après tout, on a le droit de dire "j'aime".

mardi 30 mars 2010

Une thèse?

Cette fois-ci, un billet pour aider les étudiants qui préparent une thèse.

Qu'est-ce qu'une thèse ? Avant d'être un cadre administratif, cela reste absolument une idée que l'on soutient, que l'on défend, face à des gens bienveillants qui ont pour devise : "tenir le probable pour faux jusqu'à preuve du contraire" (car c'est ainsi que l'on peut faire de la bonne science, non?).

Donc, dans le document de thèse, comme lors de la soutenance, le candidat a intérêt à bien éclaircir le point qu'il soutient, afin que toute son argumentation converge vers l'affermissement de ses propositions.

La structure du document peut évidemment varier, quand on est génial (la thèse de Louis de Broglie est réduite à quelques pages!), mais pour tout autre cas, il y a une vraie logique à faire :

Un résumé : il énonce la thèse soutenue

Une introduction : elle pose la question que l'on va étudier, identifie l'idée que l'on veut explorer.

Une partie bibliographique : elle est là pour donner des indications sur la question posée, ce qui a été fait, ce qui reste à faire, ce qui est à refaire (parce que cela a été mal fait). La bibliographie ne doit pas être une accumulation de données de la littérature, mais une accumulation ordonnée et critique. L'expérience prouve à l'envi que nombre de publications sont mauvaises, ou dépassées, et il ne faut certainement pas tout mettre sur le même plan.

La bibliographie étant faite, on doit alors préciser la question initialement posée... et annoncer la stratégie et la tactique d'étude. Pourquoi n'y aurait-il pas, entre la bibliographie et les Matériels et méthodes, une partie : plan raisonné de l'étude?

Vient ensuite la partie "Matériels et méthodes". Je sors d'avoir lu une thèse où elle était reportée en fin de document, et c'était insupportable : il faut que, lecteur de la thèse, je sache les expériences qui ont été faites pour en apprécier les résultats. Sinon, j'ai le sentiment soit que l'on me bourre le mou, soit que tous les résultats tombent du ciel.
Et là, il y a une grave question, parce que, si les Matériels et méthodes sont bien faits, la thèse fait environ 1000 pages et pèse plusieurs kilogrammes.

Je propose donc de donner seulement l'idée générale des Matériels et méthodes, dans le corps principal du document (qui sera limité à une centaine de pages : les collègues estiment que le candidat doit faire preuve d'esprit de synthèse), et de faire un document séparé, contenant tout le détail des Matériels et méthodes, des résultats, etc.

Après les Matériels et méthodes viennent les résultats, que je propose de bien séparer des interprétations. Ce n'est pas une originalité que de réclamer que les faits soient séparés des interprétations, et je ne comprends pas pourquoi certaines publications scientifiques réclament de regrouper les deux parties. C'est un mauvais exemple à donner.

Les discussions : ah! on n'a pas assez dit qu'il ne s'agit pas de faire des interprétations à partir de la bibliographie, en écrivant des phrases en français. Je réclame des calculs pour "asseoir" les interprétations. Sinon, on fait de la poésie.

Enfin, la conclusion s'assortit de perspective. Personnellement, comme je milite pour que tout travail soit assorti d'une évaluation, je propose que la conclusion inclue une évaluation (critique : il vaut mieux se faire à soi même des critiques que de les voir venir par ailleurs) du travail effectué.

Donc, j'ignore si une thèse, c'est ou non trois ans de travail, et cela seulement, mais je sais que le document remis au rapporteur ne sera pas trop mal jugé a priori s'il est structuré comme je l'ai indiqué ici.

N'hésitons pas à discuter ces idées, et à les diffuser à tous ceux qui en ont besoin!