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samedi 16 juillet 2016

Nous sommes ce que nous faisons ; quel est ton agenda ?


Cette remarque m'est venue le jour où un journaliste est venu dîner à la maison. Nous étions assis l'un à coté de l'autre, pendant l'apéritif, et il m'a dit : «Hervé This, qui êtes-vous ? ».  Qui  étais-je ? Qui suis-je ?  Moi-même, bien sûr.  Mais il est sans doute symptomatique, caractéristique, que je lui ai aussi répondu, sans avoir aucunement connaissance des théories compagnonniques ou maçonniques, que j'étais ce que je faisais et que, en conséquence, j'allais lui  chercher mon agenda pour répondre à sa question.
Il me dit alors de ne rien en faire, mais comme je trouvais la chose amusante, j'allais effectivement chercher mon agenda, et je lui en lut le contenu en le commentant. Depuis ce jour, je suis convaincu que ma réponse était bonne.
Quelques mois plus tard, avec quelque mauvaise foi, j'ai trouvé une justification de ma réponse en la retrouvant dans un dicton alsacien (mir isch was mir macht), mais, plus récemment, alors que j'explorais sur Internet des idées qui m'étaient venues lors de la lecture des Etoiles de Compostelle, de Henri Vincenot, je tombais sur cette phrase compagnonnique et maçonnique : « Ce que tu fais te fais ». Elle dit environ la même chose… mais pas exactement. Or si  le libellé est différent, c'est que le contenu l'est aussi. Dans un cas, il y a  une interpellation, alors que dans ma version, plus proche du dicton alsacien, il y a ce collectif qui reconnaît que l'être humain est social. Il est bien rare que nous ayons nos activités dans l'isolement le plus complet.Quand nous faisons quelque chose, c'est en relation avec notre environnement.
Et même si nous comparions « Ce que je fais me fait » et « Ce que tu fais te fais », il y aurait encore des nuances, la première étant que le « tu » compagnonnique/maçonnique met l'individu face un autre individu, et un seul, alors que le « Ce que je fais me fait » est plus proche de mon idée, à savoir que j'ai une responsabilité vis-à-vis de moi-même et des autres.

En tout cas, le conseil initial de consulter l'agenda était bon : alors, sans aucune mauvaise foi, nous sommes mis face à notre propre activité, et nous voyons mieux qui nous sommes vraiment. Celui  qui aura passé du temps à chercher le pouvoir  sera un être de pouvoir ;  celui qui aura passé du temps à chercher de l'argent sera un être d'argent ; celui qui aura passé son temps à gagner sa vie sans chercher d'argent sera en survie, en quelque sorte ; celui qui aura rêvé sera un rêveur ; celui qui aura joué sera un joueur… Évidemment, dans les activités de tous, il y a des composantes d’administration, de communication et de travail, de sorte que nous serons une sorte de barycentre de ces composantes, mais le temps passé nous dit quand même qui nous sommes vraiment.

dimanche 12 juin 2016

Faire n'est pas comprendre

Commençons par un avertissement : ce que je dis ici est factuel. Ce n'est pas une critique des étudiants ou des collègues, mais une nécessaire observation, en vue d'améliorer l'enseignement. Et, pour sous-tendre toute la discussion qui suit, merci de garder en tête les mots "indulgence", "bonté", "réalisme", "pragmatisme", "idéal", "amélioration"... Je ne donne pas de leçons, mais j'essaie d'oeuvrer pour le bien commun ; oui, je ne donne pas de leçons, car je n'oublie pas que je suis personnellement insuffisant, en tant qu'étudiant, en tant qu'enseignant, en tant que chercheur  (mais j'essaie de me soigner par le travail).

Ca y est ? On est dans état d'esprit indulgent ? Alors allons-y.

D'abord, c'est un fait que certains collègues ne me croient pas quand je leur dis que certains étudiants de mastère ont des capacités de calcul extrèmement réduites. C'est pourtant un fait, notamment pour les matières qui s'éloignent de la physique :  quand j'évoque le potentiel chimique, ou l'enthalpie libre, ou l'ensemble micro-canonique, ou encore l'équation de Schrödinger, les éudiants de chimie, de biochimie, de biologie, de nutrition sont souvent ignorants de ces notions. Quand ils sont en confiance, ils admettent se souvenir que ces mots ont été prononcés dans le premier cycle universitaire (ouf !)... et qu'ils ont tout oublié de ce dont il s'agit. Il leur reste les mots, mais, en tout cas, ils ne sont certainement plus (pas ?)capables de mettre en oeuvre les concepts en question.  
Là, il faut que je remette une couche de précautions liminaires. Avec deux remarques :  la première est que je ne condamne évidemment pas les disciplines éloignées de la physique, et qui ont une autre spécificité. La deuxième est que je ne condamne pas non plus les étudiants ;  j'observe seulement que les notions précédentes leur manquent, de sorte qu'il devient difficile de construire un enseignement "par dessus", disons un enseignement qui utilise ces idées pour aller plus loin, vers du savoir de notre vingt-et-unième siècle. 

Mais nous n'en sommes qu'au début de la discussion. Le cas le plus intéressant est celui de la règle de trois, qui, je le maintiens, n'est pas maîtrisée.
Là, mes collègues me disent généralement que j'exagère, mais j'ai dans mon bureau, accrochée au mur, une feuille où deux étudiants de mastère ont eu la même règle de trois à faire et ont produit deux résultats différents. Un des deux résultats est faux, donc, et l'autre est juste, mais l'étudiant qui l'a produit n'était pas prêt à parier une bouteille de champagne que son calcul était bon.  D'ailleurs, je ne conserve cette feuille que comme une preuve de ce que j'avance, pour les autres, car, pour moi, je sais parfaitement que la très  grande majorité des étudiants venus en stage ont perdu environ une semaine de travail en raison de calculs de concentrations qui étaient faux, ce qui revient à l'usage de la règle de trois.

Prenons la question simplement.
D'abord, un exemple. Supposons que pour 2,03 euros on ait 0,57 kg de banane, combien aurait-on pour 7,51 euros ?
Quand je pose la question, j'ai deux types de réponses : il y a les étudiants qui mettent correctement en oeuvre le "produit en croix", et qui, de ce fait, obtiennent un résultat juste, et ceux qui ne mettent pas correctement en oeuvre la technique -mécanique, il faut le répéter- et qui ont un résultat aléatoire, ce qui est une façon pudique de dire que le résultat est faux (dans la majorité des cas).
Pour ces derniers, on peut trouver des explications (ils sont intimidés, par exemple), mais quand même : ne doit-on pas s'interroger sur les mécanismes qui ont permis de faire arriver jusqu'en mastère de science des étudiants qui ne savent pas faire une règle de trois ? Je suis moins de ceux qui passent leur temps à analyser des questions difficiles, que de ceux qui, bien plus positivement, cherchent à rendre tous les étudiants autonomes  :  à les rendre tous capables de produire un résultat juste tout en étant assurés que ce résultat est juste puisque, un jour, plus personne ne sera derrière eux pour le valider.
Et c'est pour cette raison que je les questionne en leur demandant s'ils seraient prêts à parier une caisse de champagne sur le résultat qu'ils produisent. Je n'ai jamais eu personne prêt à faire ce pari, et encore moins quand j'évoque que leur vie puisse en dépendre. 
La vraie question est là, la question honnête : comment être certain que notre calcul est  juste?
La mise en oeuvre du produit en croix n'est pas une garantie de l'exactitude du résultat. C'est une opération mécanique,  comme une espèce de petite boîte noire munie d'une manivelle que l'on tournerait : on produit un résultat, mais la question est de savoir si ce résultat est juste  Il y a lieu de s'interroger puisque deux étudiants qui utilisent cette machine ont produit deux résultats différents.
Quand, finalement, les étudiants ont compris mon interrogation, ils en viennent à  demander une méthode pour être certains de leurs résultats, et il n'est pas difficile de se mettre alors devant un ordinateur et de taper lentement :
 - pour 2,23 euros, on a 0,57 kg de banane
 - pour 2,23 fois moins d'argent, on a  2,23 fois moins de bananes
 - donc pour 2,23 euros divisé par 2,23, on a 0,57 divisé par 2.23 kg de bananes
 - c'est-à-dire que pour 1 euros on a cette quantité  : 0,57 divisé par 2,23
 - mais si on a 7,51 euros, c'est 7,51 fois plus que 1 euro
 - de sorte que pour  7,51 euros, on a   7,51 fois 0,57 divisé par 2,23
Cette fois il n'y a plus de raison de se tromper ; il n'y a plus de possibilité de se tromper, et il ne reste qu'à s'émerveiller de la remarquable idée de proportionnalité. Cette notion apparaît quand nous faisons l'hypothèse que pour 2,23 fois moins d'argent, nous avons 2,23 fois moins de banane, et je maintiens que c'est là une des plus grandes difficultés des mathématiques élémentaires, avec peut-être la possibilité de remplacer des valeurs par des lettres. Bien sûr, pour m'expliquer la proportionnalité, on pourra me faire des schémas, me tracer des droites, etc., mais je maintiens qu'il y a une difficulté conceptuelle essentielle, qui n'est pas toujours perçue à sa vraie valeur, tout comme, et j'en tiens pour preuve les innombrables petits cours que je donnais, la difficulté de manier des équations, où des lettres représentent des quantités.

Plus tard, dans l'enseignement universitaire, le même type de difficultés demeure, par exemple quand il est question de potentiel chimique. Les étudiants habitués à faire marcher la mécanique arrivent à  manipuler les équations et,  notamment, à  calculer des potentiels chimiques, mais combien ont-ils vraiment compris que le potentiel chimique d'une solution est comme l'énergie potentielle d'une bille, en bas ou en haut d'une montagne ? Combien ont-ils vraiment compris que l'ajout d'un soluté change l'énergie (chimique) de la solution ? Là est l'origine de l'osmose, où des solutions de concentrations différentes d'un même soluté évoluent quand elles sont séparées par une membrane semi-perméable. Qu'il y ait évolution du système est bien la preuve que l'énergie était initalement différente dans les deux compartiments, de sorte que progressivement, les échanges de matière à travers la membrane (le plus souvent, de l'eau) égalent les énergies entre les deux compartiments, ce qui  est l'équilibre thermodynamique.  Et c'est ainsi, finalement, que la pression osmotique peut être calculée.

Dans le cas de la règle de trois, comme dans ce cas plus compliqué du potentiel chimique, il y a utilité à ne pas s'arrêter au maniement des équations, mais à aller plus loin, vers la compréhension des phénomènes. Oui, il y  en a quelques uns qui calculent comme les oiseaux chantent, et je suis de ceux-là. Le calcul se fait presque à notre insu, et, pour peu que nous ayons des règles sufisamment strictes, que nous connaissions les conditions dans lesquelles la mécanique calculatoire est possible,  alors tout se passe bien, et le calcul est juste. Mais il y a aussi la possibilité de comprendre, et, alors, le calcul devient une expression de notre pensée des phénomènes, et non le socle sur lequel ccette pensée s'érigera.

On a compris, bien sûr, que mon questionnement est relatif à  l'enseignement des sciences de la nature, et que je ne prends là  que des exemples. La vraie question est de bien dire à nos jeunes amis que la question essentielle est la conservation de l'énergie, la  conservation de la masse (laquelle est la "quantité de matière", plus que le nombre de moles, comme le disent certains chimistes), la conservation de la charg électrique. Voilà des notions universelles, à utiliser sans cesse, pour obotenir des calculs bien pensés et justes.