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mardi 3 juillet 2018

Bouillons, courts bouillons et fumets

Les coquilles d’œuf permettent-elles de clarifier les bouillons ? Le poisson de mer est-il plus blanc quand il est cuit dans du lait que quand il est cuit au court-bouillon ? Les fumets de poisson deviennent-ils amers quand ils sont cuits plus de 20 minutes ? Voici les questions  que nous avons explorées expérimentalement lors de notre dernier séminaire de l'année universitaire, en juin.


Bouillons clarifiés

On sait que les bouillons de bœuf sont souvent troubles et que, pour les clarifier, les cuisiniers utilisent du blanc d'oeuf, ou de la viande hachée, ou des légumes… mais des coquilles d'oeuf ? On voyait mal comment ces dernières pouvaient éventuellement agir.
Pour autant, rien ne vaut l'expérience, et nous avons donc volontairement produit un bouillon trouble en faisant tout mal :  650 gramme de tende de tranche, et 1 litre d'eau, avec 4 grammes de sel, ont été portés à ébullition  pendant 40 minutes. Le bouillon obtenu était effectivement trouble.

Hors du feu, nous avons sorti la viande, puis ajouté les coquilles de 10 œufs, simplement écrasées. Puis nous avons remis le bouillon sur le feu, coquilles incluses. A l'ébullition, nous avons vu une écume épaisse, ferme, qui a formé une sorte de « gâteau », qui a été retirée à la louche.  Le bouillon obtenu, passé dans un linge plié, était bien clair.
Pourquoi cet effet inattendu ? Sans doute parce que les coquilles conservaient du blanc d’œuf adhérent, dont on sait qu'il clarifie bien les bouillons. Pour s'en assurer, il conviendrait de répéter l'expérience en lavant les coquilles, et en les débarrassant de ce blanc adhérent, avant des utiliser : si vous faites des tests, merci d'envoyer vos résultats à icmg@agroparistech.fr  afin qu'ils soient communiqués à tous.


 Cuisson du poisson avec du vin ou avec du lait
Toujours lors de ce séminaire de juin, nous avons cherché à savoir si la chair des poisson était effectivement plus blanche, quand on cuit dans du lait. La précision culinaire complète est la suivante : Madame Millet-Robinet, dans La maison rustique des dames (Paris, Librairie agricole de la maison rustique, 1893, p.464) écrit  : « On fait cuire ordinairement le poisson de mer dans un court-bouillon à l’eau, auquel on rajoute quelquefois du vin blanc ; c’est une mauvaise méthode. Presque tous les poissons  de mer sont meilleurs, et leur chair est plus blanche et plus ferme lorsqu’ils sont cuits dans un court-bouillon composé de moitié lait,  moitié eau, un peu de sel et de poivre ».
Nous avons donc commencé par  faire un court bouillon  dans les règles de l'art, avec eau, carottes, échalotes, bouquet garni, sel. La cuisson a duré  une heure.
Puis, dans deux casseroles identiques, on amis  :
1. le court-bouillon et du vin blanc sec (tant pour tant)
2. 1 L de lait et autant d'eau.
On a commencé la cuisson à froid, avec des darnes alternées d'un même cabillaud (une sur deux dans les deux casseroles). Les deux casseroles étaient chauffées de la même façon, jusqu'à ébullition.
Puis on a comparé les darnes, après la cuisson :
- nous n'avons pas vu de différence de couleur (autant de choix par les participants pour l'un que pour l'autre, dans un choix en aveugle, et en croisant les produits à évaluer entre les évaluations)
- la différence de  fermeté était difficile à évaluer, parce que toutes les parties n'ont pas toutes cuites de la même façon, même quand les darnes étaient parfaitement immergées.
En tout état de cause, on ne peut pas conclure que la précision culinaire explorée soit juste.


L'amertume éventuelle du fumet de poisson

Enfin, nous avons cherché à savoir s'il est vrai que les fumets de poisson deviennent amers après plus de 20 minutes de cuisson. Pour nos expériences, nous avons prépapré un fumet de poisson avec les arêtes du cabillaud précédemment utilisé, de l'eau, du vin blanc sec, un poireau en rondelles, 10 champignons émincés, du sel. Les légumes sont sués avec du beurre, avant l'ajout du liquide.
Du fumet a été prélevé après 16 minutes de cuisson, et après 40 minutes… et nos dégustations en aveugle nous ont clairement montré que  le fumet le plus cuit (40 minutes) n'était pas amer. Mieux, il était meilleur que celui qui n'avait été cuit que 16 minutes.
Comment a-t-on pu transmettre une idée si fausse ?

samedi 13 août 2016

Comment faire d'un petit mal un grand bien ?


Dans les emails que chaque membre de notre Groupe de gastronomie moléculaire envoie à  tous les autres, chaque soir, pour faire état des travaux effectués pendant la journée, il y a un tableau qui comporte des lignes. Par exemple,  nous décrivons  nos travaux, scientifiques ou de communication, nous décrivons ce que nous avons fait d'un point de vue administratif, nous disons ce que nous avons appris (connaissances) et appris à faire (compétences) ; nous disons ce que nous avons donné aux autres : un coup de main, un calcul, la correction d'un texte.

Mais la ligne la plus essentielle de ce tableau est intitulée "symptôme"  : nous décrivons ce qui a coincé. Cette ligne est essentielle, parce que l'analyse de ce qui a coincé est la possibilité de progresser. C'est parce que nous nous heurtons à un obstacle, si nous apprenons à le contourner, à l'escalader, que nous aurons des chances de progresser. Si nous identifions qu'une connaissance nous manquait, nous l'obtenons.  S'il nous manque une compétence, nous pouvons avoir l'objectif de l'acquérir.
Chaque fois, il y a ce mouvement très positif d'arriver à un état meilleur que l'état précédent. Il y avait un un petit mal, et nous en avons fait un bien. Tant qu'à faire, pourquoi pas un grand bien ?

Un bon exemple d'un tel mouvement eut lieu un jour, avant un banquet que je devais commenter, et où une sauce avait raté : la sauce était grumeleuse, impossible à servir...
Ce jour-là, j'ai eu l'idée d'analyser la question : la sauce était ratée ? Que cela signifiait-il ? Qu'il y avait un sédiment et un liquide clair. Clair ? Après tout,  les cuisiniers cherchent toujours à clarifier les bouillons, de sorte que cette clarification était un avantage. Nous pouvions donc produire un liquide clair à partir de cette sauce grumelée.
Effectivement la décantation de la  la sauce ratée conduisit à une sorte de purée, qui avait beaucoup de goût, et qui fut servie, et à un liquide parfaitement clair, qui avait le goût de la sauce visée.
Finalement ce petit mal de la sauce ratée a conduit non seulement à une sauce d'une limpidité absolue, qui fut servie dans un verre de cognac, mais aussi à me faire comprendre que nous aurions sans doute intérêt à toujours faire d'un petit mal un grand bien. A nous d'analyser le ratage, pour parvenir à ce grand bien. Ce n'est pas un grand bien obtenu par déduction, mais par induction, de sorte que si nous y avons pensé beaucoup, nous saurons faire preuve de créativité.
Là, j'entends nombres d'amis qui avouent leur insuffisance dans ce domaine : créativité, innovation... Toutefois j'ai fait un livre entier (Cours de gastronomie moléculaire N°1) pour expliquer comment la créativité n'est pas un don du ciel, mais plutôt la mise en œuvre active d'une méthode systématique que j'ai  détaillée dans ce livre. La méthode est systématique, donc infaillible. Elle ne demande qu'une chose : du travail... ce qui est donc merveilleux, au moins pour les individus  que j'estime le plus : ceux qui n'hésitent jamais à se retrousser les manches. Je ne doute pas que le travail leur donnera  la créativité, après un peu d'exercice, de sorte que, presque à coup sûr, ils sauront faire d'un petit mal un grand bien.